lundi 2 juillet 2012


PRAXIS THEOLOGIQUE
PERSPECTIVE SISTEMATIQUE
1.      Réflexions préliminaires du point de vue de la théorie de la science
1.1. Référence obligée et liberté : deux éléments structurels de toute science
La discussion actuelle concernant la théorie de la science est caractérisée par deux  directions qui, à première vue apparaissent contradictoires et à la fois convergentes, d’une certaine manière.
D’un côté on  trouve la tentative d’exclure la théologie du cercle des sciences actuelle en raison de sa référence obligée à des normes dogmatiques et magistérielles, et de l’exclure aussi, à ce fait, de ce qui constitue aujourd’hui une université.
D’un autre côté, on trouve la tentative, entreprise surtout par Pannenberg, de donner un fondement nouveau à la théologie dans le cadre de la compréhension actuelle de la science  en la comprenant non plus comme science de la foi, mais comme science de la religion. La théologie nouvellement comprise comme science de la religion ou comme science du christianisme ne part plus, d’une manière dogmatique, de la prétention de la foi chrétienne  à être une vérité absolue et définitive ; elle se comprend, au contraire, comme une théologie problématique et critique, pour laquelle les thèses de la foi sont des hypothèses de la science qui, dans le processus scientifique, ne peuvent être vérifiées à chaque fois que de manière anticipatrice et provisoire.
La diversité de la réalité exige véritablement une diversité des méthodes scientifiques qui explorent la réalité.
Selon H. Scholtz, il y a trois exigences minimales suivantes auxquelles une science doit corresponde : 1. le postulat de l’énoncé :  une science doit poser des énoncés dont on affirme qu’ils sont vrais ; 2. le postulat de la cohérence : on ne peut parler de science que si tous les énoncés d’une science peuvent être formuler comme des affirmations concernant un domaine constitué par un objet donné ; 3. postulat de la possibilité d’un contrôle : la prétention des énoncés d’une science d’être vrais doit pouvoir être vérifiée d’une manière ou d’une autre. Ainsi, on ne peut pas considérer l’absence de présupposé comme le présupposé d’une science.
Une science n'a pas seulement des présupposés historiques : elle se réfère objectivement a des axiomes qu'elle n'est pas en mesure de fonder elle-même, si du moins elle ne veut pas s'engager dans un regress us in infinitum.
Aussi toutes les sciences ont-elles en commun une dialectique réciproque entre liberté et référence obligée. Nous pouvons même dire de façon plus précise: en dernière instance, la liberté scientifique est fondée dans le fait d'être liée a la vérité propre à un domaine scientifique donné.
En raison de la constitution sociale de la liberté humaine, une telle liberté scientifique suppose, pour qu'elle puisse se réaliser concrètement, des institutions de la liberté, c'est-a-dire des institutions scientifiques qui, de leur cote, sont inscrites dans cette totalité que sont une société, un ordre de l'Etat et sa constitution.
La liberté scientifique n'est donc jamais possible sans inscription institutionnelle.
La dialectique entre liens institutionnels et liberté scientifique n’est donc pas un problème de la théologie seulement, mais un problème de toute science.   Mais en raison de la spécificité de l’objet de la théologie, cette dialectique prend des formes particulières dans la théologie.

 LA SPECIFICITE DE LA THEOLOGIE COMME SCIENCE DE LA FOI
La spécificité de la théologie consiste dans le fait qu’elle n’a pas affaire à un domaine unique constitué par un objet particulier seulement, mais dans le fait que son objet est Dieu Lui-même. Pour Thomas, la théologie traite de Dieu, et de tout le reste pour autant qu’il a un rapport à Dieu comme à son fondement et à sa fin, Dieu n’est pas un domaine particulier à côté d’autres domaines particuliers, mais en tant que fondement et fin de toute chose, il est la réalité qui détermine tout. La théologie traite donc, comme l’a montré J. Simon, du fondement et du sens ultime de toute réalité qui sont présupposées par les autres sciences, y compris la science elle-même.
La spécificité de l’objet de la théologie fonde la spécificité de la méthode scientifique de la théologie. Etant donné que parler de Dieu consiste à parler du fondement et du sens  de toute réalité, il ne peut jamais en être d’une manière distanciée et neutre, mais seulement d’une manière engagée.
Toute connaissance de Dieu implique toujours une option ; elle est toujours aussi confession et reconnaissance. Elle n'est pas cependant un risque aveugle, ni un sacrificium intellectus, mais une option qui peut rendre raison de sa propre intelligibilité. La théologie catholique a toujours reconnu qu'une connaissance naturelle de Dieu qui peut être fondée en raison est possible.  Deux autres théologiens ont affirmé aussi que  cette connaissance naturelle de Dieu est fondamentale pour fonder le statut scientifique de la théologie.
Dans la théologie en effet il ne s'agit pas de la foi au sens d'une confiance générale dans le sens de la réalité ; il s'agit au contraire de la foi fondée dans l'histoire du salut, de la foi dans la révélation de Dieu dans l'histoire qui a trouvé son accomplissement eschatologique en Jesus-Christ.
 La connaissance de Dieu présuppose par conséquent I ‘autorévélation de Dieu à   l'homme, une autorévélation dans laquelle Dieu n'est pas seulement l'objet mais la condition de possibilité de la connaissance. Pour parler le langage de la Bible, la connaissance de Dieu présuppose l’intelligence nouvelle donnée par Dieu (Rm 12, 2), les yeux du cœur dont il fait don (Ep 1, 18). Elle n'est pas seulement un credere Deum (croire que Dieu existe), et pas non plus un credere Deo seulement (Ia confiance en Dieu), mais un credere in Deum, Ie fait de fonder de façon ultime notre existence propre, et de ce fait aussi la connaissance, dans la vérité de Dieu.
Dieu n’est  donc pas l’objet de la foi, mais il est aussi pour elle le fondement de sa connaissance.
La foi s’effectue moyennant la connaissance et la compréhension humaine. Il n’ta de foi que comme foi entendue, affirmée, comprise et attestée de façon humaine. Comme telle, la foi  implique une connaissance de la foi et une compréhension de la foi (intellectus fidei) dont le croyant peut et doit rendre raison à tous les hommes (cf. 1 P 3, 15).
Qu’est ce que la théologie ? Elle est, selon la définition classique d’ Anselme de Cantorbery, « fides quaerens intellectum », la foi qui, de part elle-même, est en quête de compréhension, déploiement du logos immanent à la foi elle-même. Elle se distingue de la compréhension qu’elle interprète d’une manière réfléchie et méthodique, cohérent et systématique. Pour ce fait, la théologie n’est pas seulement connaissance de la foi, mais science de la foi à partir de la connaissance de la foi. Selon Bonaventure, la foi naît de l’additio rationis à la fides. C’est pourquoi dans la théologie, il ne s’agit pas seulement du credibile ut credibile, mais du credibile ut factum intelligibile.
En tant que science de la foi précisément, la théologie n’est donc pas une science ésotérique : elle rend raison de ses présupposés et de ses méthodes. Ainsi Thomas dit de la théologie comme de la philosophie : « Disputat cum negante sua principia. » Notons bien : disputat, non criticat vel damnat ! De cette manière, la  compréhension de la théologie comme science de la foi résultent aussi bien ses références obligées que sa liberté. 
2. Les références obligées propres à la théologie
2.1. La référence est liée à la vérité de la foi
La référence obligée propre à la théologie n’est pas au premier chef le  magistère de l’Eglise, mais la vérité de la foi chrétienne. Selon la conviction chrétienne, cette vérité s’est manifestée une fois pour toutes en Jésus Christ.
De ce fait la théologie est aussi, comme science de la foi, une science ecclésiale.
L’interprétation de la révélation relative au Christ est donc nécessairement référée au contexte de la vie de l’Eglise. Ainsi comme l’a dit le Pape a Altötting, le domaine du théologien, ne sont pas « des dates ni des objets purement historique dans une éprouvette artificielle », c’est la « foi vécue dans l’Eglise. Il s’agit de tout ce que l’Eglise  perpétue et transmet à travers le temps « dans sa doctrine, sa vie et son culte », de «  tout ce qu’elle est elle-même, de tout ce qu’elle croit ».

2.2. La théologie est liée au témoignage authentique de la foi
La vérité de la foi chrétienne en effet est une vérité qui repose sur un témoignage.
L’attestation de la vérité de la foi est alors affaire  de tous les chrétiens. Et que l’autorité du magistère ne se situe pas au dessus de l’Eglise. C’est pourquoi il ne peut  exercer son ministère spécifique qu’en communion avec l’ensemble de la communauté de foi qu’est l’Eglise et avec les autres chrétiens, et vice versa.

3.      La liberté propre à la théologie
3.1. L’autonomie relative à la science
Etre lié par la foi à l’Evangile de Jésus-Christ a un caractère libérateur (Ga 5, 1- 13). Ce qui caractérise la vérité chrétienne est qu’elle rend libre ( Jn 8, 36). La liberté de la théologie n’est donc fondée que de façon seconde dans la liberté de la science,  garantie par la constitution : Elle resulte en premier lieu de l’Evangile, qui est bl’objet même de la théologie. La liberté de la théologie doit donc être comprise comme liberté chrétienne dans la foi à partir de la foi.

3.2. L’autonomie relative de la théologie
Elle est libre dans l’application de ses méthodes et de ses analyses.
Comme toutes les autres sciences, la théologie est donc libre dans le choix de ses méthodes. Mais la tension entre la référence obligée que constitue la foi et la liberté de la science doit donc être endurée tout d’abord à l’intérieur de la théologie elle-même.
4.      La tension inscrite dans la théologie elle-même en tant qu’elle est science de la foi
4.1.La correspondance de principe entre foi et connaissance
Comprendre la théologie comme science de la foi recèle manifestement une tension inouïe.  C’est dans l’analogie  entre connaissance de la foi et connaissance naturelle que résulte l’intellectus fidei.
A Cologne Jean Paul II rappelle cela en disant que malgré la correspondance de principe entre foi et connaissance, des conflits sont possibles entre foi et connaissance, 1. En raison de la finitude de la raison humaine, 2. En raison de sa possibilité d’errer.
4.2.La possibilité de conflits et leur dénouement
La solution d’un tel conflit est possible d’une double manière. 1. Soit que l’on montre que les arguments avancés contre la foi ne sont pas probants, et qu’ils peuvent donc être defaits au sens du « solvere rationes »  de Thomas. 2. Soit que l’on montre que l’interprétation de la foi en question était fausse, conditionnée par le temps, et qu’elle n’était pas suffisamment profonde et ample. C’est ainsi que le Concile le voit à propos du cas de Galilée.
Ces conflits qui surgissent à l’intérieur de la théologie entre  foi et connaissance peuvent donc, eux aussi, être résolus par principe par la voie de la science.
La théologie ne peut pas s’émanciper par rapport à la foi de l’Eglise, mais elle peut et doit la réfléchir et l’interpréter. En ce sens, la Pape dit du théologien : « Il peut et doit avancer des propositions  nouvelles pour l’intelligence de la foi, mais ces propositions ne sont qu’une offre faite à toute l’Eglise », et qui doit être corrigée et élargie.

5.      Référence obligée et liberté de la théologie : leur expression institutionnelle dans le rapport entre magistère de l’Eglise et science théologique

5.1. Ce qui est commun au magistère et à la théologie
Ce qui est commun au magistère et à la théologie commence déjà avec la fait que dans ces deux cas nous avons affaire à des institutions. Et ce qui importe davantage encore, c’ezst l’institutionnalité scientifique propre à la théologie.
Du point de vue théologique, Magistère et Théologie ont pour tâche commune, bien qu’à assumer d’une manière propre à chacun, de « garder le trésor sacré de la révélation, de la comprendre plus profondément, de l’interpréter, de l’enseigner et de le défendre ».  C’est pourquoi ils sont liés ensemble : 1. à la parole de Dieu, telle qu’elle est attestée surtout dans l’Ecriture. 2. au sens de la foi de l’Eglise. 3. aux documents de la révélation et 4. à la mission pastorale de l’Eglise. Bref, magistère et théologie ne se font pas face comme deux grandes puissances ennemies. Tous deux sont des ministères dans l’Eglise et pour l’Eglise.
Ils sont soumis ensemble à la parole de Dieu, et ont à la servir. Tous deux sont liés par cette vérité qui, de ce fait, les lie aussi l’un à l’autre, mais qui les libère en même temps et les établit chacun, magistère et théologie, dans la tâche qui lui est propre.
5.2. Différence entre magistère et théologie
La tâche du magistère est d’attester la révélation avec autorité et de façon officielle. Le magistère s’exprime de façon authentique, c'est-à-dire avec autorité au nom de Jésus-Christ et de l’Eglise. De ce fait le magistère est service de l’unité de la foi. Ce service ne s’effectue pas seulement de façon négative, mais d’abord  d’une manière positive, au sens d’une attestation pastorale et missionnaire de la vérité qui s’effectue  sous la forme d’une proposition convaincante.
Enseigner avec autorité implique cependant qu’on enseigne de façon argumentée ( cf. 2 Tm 4,2 ; Tt 1,9).
Le style « argumentatif «  qui est attendu ainsi du magistère  ecclésial ne signifie pas que le magistère doive se placer sur le terrain de la science théologique. Argumenter à partir de la connaissance de la foi est autre chose qu’argumenter à partir de la science de la foi. Une telle manière d’argumenter a sa structure et sa logique propres qu’on peut qualifier de «  parénétiques ».
Pour pouvoir accomplir cette tâche sans grandes difficultés et de manière créatrice et fructueuse, le magistère de l’Eglise a besoin de la théologie qui étudie et présente la tradition de la foi d’une manière scientifique, c'est-à-dire, d’une manière réfléchie et méthodique, cohérente et systématique, et qui l’actualise de manière vivante en débat avec les courants spirituels du temps. Ainsi la théologie ne parle pas avec une autorité officielle, qui engage la communauté ecclésiale,  ni avec une autorité disciplinaire et juridique.  Elle ne dispose que  de l’autorité des arguments, sa compétence n’est pas le sententailiter determinarer, mais le magistraliter determinarer.  La nature de l’autorité à chaque fois différente du magistère et de la théologie est fondée d’une manière à chaque fois différente. L’autorité du magistère ecclésial a son fondement dans l’ordination sacramentelle qui, « en même temps que la charge de sanctifier, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner ».
L’autorité du théologien en revanche s’enracine tout d’abord dans sa qualification et sa compétence scientifique.  Au-delà, en tant que science de la foi, la théologie suppose également une compétence dans la foi Elle a aussi une racine charismatique. Comme le disent les les théologiens médiévaux, elle n’est pas seulement une science, mais aussi sapientia, sacra doctrina qui présuppose le lumen fidei. Pour cela il est nécessaire de chercher le sens de  la missio ecclésiale. En ce sens la missio fonde une participation au magistère de l’Eglise.
5.3. Relations mutuelles entre magistère et théologie aujourd’hui
La relation entre le magistère et la théologie peut être décrite aujourd’hui comme une relation entre partenaires. « Partenariat » ne signifie pas nivellement. « Partenariat » suppose des différences.
Définir la relation entre magistère  et théologie comme une relation entre partenaires ne signifie dons ni que la théologie doive assurer elle-même des fonctions magistérielles qui lui seraient propres, ni que le magistère doive passer du terrain de l’annonce et de la décision à celui du débat théologique scientifique.
Au contraire, magistère et théologie se trouvent référés l’un à l’autre et ont à coopérer l’un avec l’autre. Le magistère devrait reconnaître explicitement la nécessité de telle interprétation nouvelle, et être conscient de ce qu’une orthodoxie morte n’est pas une orthodoxie véritable. Au contraire, les théologiens devraient régler tout d’abord eux-mêmes leurs conflits et pratiquer  l’autocritique réciproque.
Toute intervention du magistère n’est pas un empiétement qui menace la liberté de la théologie.
Tout théologien a le droit et le devoir de prendre parti contre un théologien et pour le magistère s’il est convaincu de la justesse de la décision de celle-ci.
Une détermination des relations entre magistère et théologie qui exclurait de prime abord tout conflit est inconcevable par principe.
Les circonstances des conflits ne sont pas nécessairement des signes de dégénérescence, mais peuvent être aussi des signes de vie, car comme l’a dit J.A. Möhler, toute vie se meut dans des tensions.
C’est pourquoi un théologien pourra avoir le devoir de critiquer un représentant du magistère s’il s’exprime de façon théologiquement irresponsable ou s’il intervient sans compétence dans le domaine de la théologie.
Il convient au théologien de pratiquer l’humilité, au sens d’une attitude toujours renouvelée d’écoute incluant l’autocritique et de disponibilité à servir l’édification de l’Eglise. Mais une disponibilité qui s’accompagne d’une franchise, comme dit Kant qui ne porte pas la traîne derrière le magistère, mais porte le flambeau devant lui pour ouvrir des possibilités nouvelles de comprendre l’Evangile. C’est pour cela que le magistère et les théologiens ne peuvent pas être réduits l’un à l’autre.
Aujourd’hui tout particulièrement ils ont besoin, de façon urgente, de se référer l’un à l’autre.
Aujourd’hui tout particulièrement il leur faut aller à la recherche de formes nouvelles de communio.

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