dimanche 3 mai 2015

Exhortation apostolique « Evangelii gaudium »

« Réjouissez-vous, exultez, soyez dans l’allégresse… » (Isaïe 66,10-14)

Je commencerai par une affirmation du pape François dans don Exhortation apostolique « Evangelii gaudium », n.1 :
« La joie de l’Evangile remplit le cœur de toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Avec Jésus-Christ, la joie naît et renaît toujours ». Malheureusement, il constate qu’ « il y a des chrétiens qui semblent avoir un air de carême sans Pâques. C’est dommage pour eux et pour leur entourage ».

Le Pape, dès la première année de son pontificat, attirait notre attention à plusieurs reprises sur l’importance de laisser vivant ce feu du premier amour. Dans sa rencontre avec les Clarisses d’Assise, le 3 octobre 2013, disait encore : «Cela m’attriste quand je vois des religieux qui ne sont pas joyeuses. Elles sourient peut-être, mais avec  le sourire d’une hôtesse de l’air. Pas avec le sourire de la joie, de celle qui vient de l’intérieur. Toujours avec Jésus Christ ».

Pourquoi est-il important que la vie consacrée soit de feu pour tous les chrétiens ? Simplement parce que la vie consacrée est signe pour tous les baptisés. Ils sont un ferment, un levain pour faire gonfler la pâte de l’humanité, ‘‘un don pour un peuple de Dieu en chemin’’.  En effet quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres.  

Dans le magistère du Pape François, l’incipit d’Evangelii gaudium résonne avec une vitalité surprenante: il nous tourne vers ce mystère merveilleux de la Bonne Nouvelle qui, accueilli dans le cœur de la personne, en transforme la vie. C’est la parabole de la joie qui nous est racontée: la rencontre avec Jésus allume en nous la beauté de l’origine, celle du visage sur lequel resplendit la gloire du Père (cfr 2 Co4, 6), source de la joie.
Il nous invite à réfléchir sur le temps de grâce qui nous est donné de vivre.

Accueillir ce magistère, c’est renouveler son existence suivant l’Evangile, non selon une radicalité comprise comme modèle de perfection et souvent de séparation, mais dans l’adhésion de tout cœur à l’événement de la rencontre salvifique qui transforme la vie.
Lorsque nous donnons raison de la joie qui nous habite, nous devenons un splendide témoignage, une annonce efficace, une compagnie et une proximité pour les femmes et les hommes qui habitent avec nous.

C’est de ce témoignage que le Pape attend de nous, lorsqu’il dit que les religieux et religieuses doivent être des hommes et des femmes capables de réveiller le monde.
A partir de l’écoute de la Parole de Dieu, il nous donne beaucoup de suggestions, mais ce qui nous interpelle particulièrement, c’est l’absolue simplicité avec laquelle il propose son magistère, se conformant à l’authenticité désarmante de l’Evangile. Parole sans glose, répandue avec le geste large du bon semeur qui, confiant, ne fait pas de discrimination entre les terrains.

Un appel à abandonner les argumentations institutionnelles et les justifications personnelles, une parole provocante qui parvient à interroger nos modes de vie parfois engourdis et somnolents, souvent vécus à la marge du défi: si vous aviez autant de foi qu’un grain de moutarde (Lc17, 5). Et encore un appel qui nous encourage à nous mettre en mouvement pour donner raison du Verbe qui demeure parmi nous, de l’Esprit qui crée et qui renouvelle constamment son Eglise ; pour une confrontation loyale entre Evangile et Vie.
« Réjouissez-vous, exultez de joie… »
Il nous parle de cette joie qui s’oriente vers l’avenir : elle sera surabondante (Is.9, 2), le ciel, le désert et la terre exulteront de joie (Is.35, 1 ; 44,23 ; 49,13), les prisonniers libérés arriveront à Jérusalem en criant de joie (Is.35, 9 ; 51,11).

La  joie : c’est cela la beauté de la consécration. La joie de porter à tous la consolation de Dieu, disait le Pape pendant la rencontre avec les séminaristes et les novices le 7 juillet 2013. Il n’y a pas de sainteté dans la tristesse ! Il ne faut pas que vous vous désoliez comme les autres, qui n’ont pas d’espérance (1Th.4, 13). Nous avons à témoigner de la joie qui vient de la certitude de se sentir aimés, de la confiance d’être sauvés. Un message d’espérance qui donne sérénité et joie. N’ayons donc pas peur, le Seigneur nous traitera comme une maman avec son fils.

«En vous appelant, Dieu vous dit: ‘ Tu es important pour moi, je t’aime, je compte sur toi’. Jésus dit ceci à chacun de nous! C’est de là que naît la joie! La joie du moment où Jésus m’a regardé, l’image du départ. Comprendre et sentir cela est le secret de notre joie. Pour Lui nous ne sommes pas des numéros mais des personnes; nous devons sentir que c’est Lui qui nous appelle».(0bservatore Romano, 8-9 juillet 2013, p.6)

Il rappelle à tous, que la vocation est toujours une initiative de Dieu. C’est le Christ qui vous a appelées à le suivre dans la vie consacrée et cela signifie accomplir continuellement un «exode» de vous-mêmes pour centrer votre existence sur le Christ et sur son Evangile, sur la volonté de Dieu, en vous dépouillant de vos projets, pour pouvoir dire avec Saint Paul: Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga2, 20)».

A l’exemple de Paul, il s’agit d’assumer son style de vie, d’adopter ses attitudes intérieures, de se laisser envahir par son esprit, d’assimiler sa surprenante logique et son échelle des valeurs, de partager ses risques et ses espérances: «guidés par l’humble et heureuse certitude de celui qui a été trouvé, rejoint et transformé par la Vérité qui est le Christ et qui ne peut pas ne pas l’annoncer». ( Observatore R.29-30 juillet 2013, P.4)

«C’est seulement dans la joie du oui fidèle,  grâce à cette rencontre –ou nouvelle rencontre –avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence». (Ev g.n.8)  La personne appelée est convoquée à elle-même, c’est-à-dire à son pouvoir être, à reconnaître la profondeur de cet appel.

La fidélité est conscience de l’amour qui nous oriente vers Dieu et vers toute autre personne, de façon constante et dynamique, alors que nous expérimentons en nous la vie du Ressuscité: «Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement».(Ev.g.n.1)

Le fait d’être disciple est grâce et exercice d’amour, exercice de charité oblative: «Quand nous marchons sans la Croix, quand nous édifions sans la Croix et quand nous confessons un Christ sans Croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur: nous sommes mondains, nous sommes des Evêques, des Prêtres, des Cardinaux, des Papes, mais pas des disciples du Seigneur». (Messe  avec les Cardinaux, 14/3/2013, in :AAS 105 (2013),365-366.)

«Le fantasme à combattre est l’image de la vie religieuse entendue comme refuge et consolation face à un monde extérieur difficile et complexe». Le Pape nous exhorte à «sortir du nid», pour habiter la vie des hommes et des femmes de notre temps, et nous livrer nous-mêmes à Dieu et au prochain. » (Civiltà Cattolica, 165, 2014, 10

«Les gens aujourd’hui ont besoin, certainement de paroles, mais ils ont besoin surtout que nous témoignions la miséricorde, la tendresse du Seigneur qui réchauffe le cœur, qui réveille l’espérance, qui attire vers le bien. La joie de porter la consolation de Dieu».

«La joie naît de la gratuité d’une rencontre! […] Et la joie de la rencontre avec lui et de son appel pousse à ne pas se renfermer, mais à s’ouvrir. Elle nous conduit au service dans l’Eglise. Saint Thomas disait: le bien se diffuse. Et la joie aussi se diffuse. N’ayez pas peur de montrer votre joie d’avoir répondu à l’appel du Seigneur, à son choix d’amour, et de témoigner de son Evangile dans le service de l’Eglise. Et vraie la joie, est contagieuse, elle contamine … elle fait avancer».

Le Pape François confie cette mission aux consacrés et consacrées: trouver le Seigneur qui nous console comme une mère et consoler le peuple de Dieu. (0bs. R. 7/7/13, p.7
A présent, je vous invite à accueillir les sollicitations que le Pape nous propose pour regarder le monde et nous-mêmes avec les yeux du Christ et en rester inquiets.


                    LES DEMANDES DU PAPE FRANCOIS

-       Je voulais vous dire un mot et ce mot, c’est la joie. Partout où il y a les consacrés, les séminaristes, les religieuses et les religieux, il y a de la joie, il y a toujours de la joie ! C’est la joie de fraîcheur, c’est la joie de suivre Jésus, la joie que nous donne le Saint Esprit, pas la joie du monde. Il y a de la joie ! Mais où naît la joie ?

-       Regarde au plus profond de ton cœur, regarde au plus profond de toi, et demande- toi : as-tu un cœur qui désire quelque chose de grand ou un cœur endormi par les choses ? Ton cœur a-t-il conservé l’inquiétude de la recherche ou l’as-tu laissé s’étouffer par les choses, qui finissent par l’atrophier ? Dieu t’attend, il te cherche, que lui réponds-tu ? Te rends-tu compte de cette situation de ton âme ? Ou bien dors-tu ? Crois-tu que Dieu t’attend ou bien pour toi cette vérité ne représente-t-elle que « des mots » ?

-       Nous sommes victimes de cette culture du provisoire. Je voudrais que vous réfléchissiez à cela : comment puis-je être libre part rapport à cette culture du provisoire ?

-       C’est une responsabilité avant tout des adultes, des formateurs : donner un exemple de cohérence aux plus jeunes. Nous voulons des jeunes cohérents ? Soyons cohérents nous-mêmes ! Sinon, le Seigneur nous dira ce qu’il disait des pharisiens au peuple de Dieu : « faites ce qu’ils disent, mais pas ce qu’ils font ! ». cohérence et authenticité.

-       Nous pouvons nous demander, suis-je inquiet pour Dieu, pour l’annoncer, pour le faire connaître ? Ou est-ce que je me laisse séduire par cette mondanité spirituelle qui pousse à tout faire par amour de soi-même ? Nous, consacrés, pensons aux intérêts personnels, à l’efficacité des œuvres, au carriérisme. Tant de choses auxquelles nous pouvons penser… Est-ce que je me suis pour ainsi dire « installé » dans ma vie chrétienne, dans ma vie sacerdotale, dans ma vie religieuse, dans ma vie de communauté aussi, ou bien est-ce que je conserve la force de l’inquiétude pour Dieu, pour sa Parole, qui me porte à « aller à l’extérieur », vers les autres ?

-       Comment nous comportons-nous face à l’inquiétude de l’amour ? Croyons-nous à l’amour envers Dieu et envers les autres ? Où sommes-nous nominalistes à ce sujet ? Non pas de façon abstraite, pas seulement en paroles, mais le frère concret que nous rencontrons, le frère qui est à côté de nous ! Nous laissons-nous inquiéter par leurs nécessités ou bien restons-nous enfermés en nous-mêmes, dans nos communautés, qui sont souvent pour nous une « communauté-confort » ?

-       Ca, c’est un beau chemin, un beau chemin vers la sainteté ! Ne jamais dire du mal des autres. « Mais, Père, il y a des problèmes… ». Dis-le au supérieur, dis-le à la supérieure, dis-le à l’évêque, qui peut trouver une solution. Ne le dis pas à celui qui ne peut pas aider. C’est important : la fraternité ! Mais dis-moi, dirais-tu du mal de ta mère, de ton père, de tes frères ? Jamais. Alors pourquoi le fais-tu dans la vie consacrée, au séminaire, dans la vie entre prêtres ? Uniquement cela : réfléchissez, réfléchissez… La fraternité ! Cet amour fraternel !

-       Au pied de la croix, Marie est la femme de la douleur et dans le même temps de l’attente vigilante d’un mystère plus grand que la douleur, sur le point de s’accomplir. Tout semble vraiment fini ; toute espérance pourrait se dire éteinte. Elle aussi, à ce moment-là, en se souvenant des promesses de l’annonciation, aurait pu dire : elles ne sont pas avérées, j’ai été trompée. Mais elle ne l’a pas dit. Et pourtant, bienheureuse parce qu’elle a cru, elle voit bourgeonner de cette foi un avenir nouveau et attend avec espérance le demain de Dieu. Je pense parfois : savons-nous attendre le demain de Dieu ? Ou voulons-nous l’aujourd’hui ? Le demain de Dieu, pour elle, c’est l’aube du matin de la Pâque, de ce premier jour de la semaine. Cela nous fera du bien de penser, dans la contemplation, à l’accolade du fils avec la mère. La seule lampe allumée au sépulcre de Jésus est l’espérance de la mère qui, à ce moment- là, est l’espérance de toute l’humanité. Je me demande et je vous demande : dans les monastères, cette lampe est-t-elle encore allumée ? Dans les monastères, attend-on le demain de Dieu ?

-       L’inquiétude de l’amour pousse toujours à aller à la rencontre de l’autre, sans attendre que l’autre manifeste son besoin. L’inquiétude de l’amour nous offre le don de la fécondité pastorale, et nous devons nous demander, chacun de nous, comment se porte ma fécondité spirituelle, ma fécondité pastorale ?

-       Une foi authentique implique toujours un désire profond de changer le monde. Voilà la question que nous devons nous poser : avons-nous nous aussi de grandes visions et un grand élan ? Sommes-nous nous aussi audacieux ? Avons-nous de grands rêves ? Le zèle nous dévore-t-il (cf.Ps 69,10) ? Ou bien sommes-nous médiocres et nous contentons-nous de nos programmations apostoliques de laboratoire ?


LA VIE COMME VOCATION

                                            LA  VIE  COMME  VOCATION                                        
                                                                                                                                                     Il m’a été demandé d’intervenir sur le thème de cette rencontre, “ La vie comme vocation” et, pour cela, je le ferai en deux temps. J’espère répondre à cette attente en réfléchissant sur différent aspects de la vocation, une réalité qui suppose la rencontre de deux libertés : l’absolue liberté de Dieu, qui appelle, et la liberté des êtres humains, qui répondent à cet appel. Dans un premier temps, nous nous arrêterons à la rencontre de ces deux libertés.                                                                                                                                     
Ce que je veux vous offrir, c’est l’expérience d’un pèlerin,  un départ qui doit continuer à donner du sens à l’exode qu’un religieux fait depuis sa première profession religieuse. L’expérience d’être des pèlerins est un point de départ utile pour notre réflexion. S’il est vrai que l’Eglise se comprend comme un Peuple Pèlerin(1), les religieux et les religieuses sont appelés à donner un témoignage particulier à cette vérité que “nous n’avons pas ici de cité permanente” (Heb. 13,14), puisque notre vocation devrait nous conduire «progressivement à une pleine configuration au Christ» pendant un «pèlerinage terrestre» où nous «nous pressons en direction de la source inépuisable de lumière».(2)
Le pèlerinage est une expérience sacrée que l’ont retrouve dans de nombreuses grandes religions et cultures. Il est intéressant que la notion de pèlerinage perdure dans certaines sociétés où les autres expressions religieuses traditionnelles ont été absolument éliminées à cause de l’influence ou l’impact de la sécularisation croissante. Il est également vrai que chacun de ces sociétés peut identifier dans ses propres frontières un si ce n’est plusieurs lieux de pèlerinages qui continuent à être populaires même si les autres indicateurs religieux diminuent.

Peut-être en est-il ainsi parce que le pèlerinage est une sorte de paradigme exprimant la manière dont nous autres, êtres humains, nous expérimentons la vie. Nous percevons, ou du moins nous espérons, que nos vies ne doivent pas être simplement comprises comme le résultat d’une collision d’atomes qui s’est produite par hasard, le résultat d’un destin aveugle ou de pulsions biologiques. Nous savons que nos vies commencent quelque part et nous percevons, ou du moins nous espérons, que nos vies mènent quelque part. Et comme des pèlerins continuent à se diriger vers un sanctuaire qu’ils ne voient pas, nous choisissons également de découvrir un sens au voyage qu’est notre vie “en marchant” vers un lieu ou une Personne que, souvent, nous ne faisons qu’entrevoir «comme un reflet dans un miroir, simplement des rides» (1 Cor. 13, 11).

Le caractère sacré d’un pèlerinage ne s’expérimente pas simplement quand on atteint le but. La vocation d’un pèlerin est également vécue au jour le jour, à chaque heure et à chaque minute du voyage : à chaque étape que l’on franchit dans une dimension de foi. Lorsque nous parcourons le voyage de la vie, nous prenons conscience d’un paradoxe : nous changeons radicalement durant notre cheminement tout en restant les mêmes. C’est-à-dire que nous pouvons repérer des étapes importantes ou identifier des moments particuliers que nous traversons alors que le cœur de notre identité demeure mystérieusement inchangé.
           
Une métaphore courante est utilisée pour ce paradoxe, celle d’une journée qui a un matin, un après midi et un soir, chacun perçu de manière distinct et cependant chacun fusionnant en un seul ensemble. Chaque phase de la vie, bien qu’elle se fonde dans le tout de l’existence, a une valeur autonome qui devrait être appréciée comme telle car elle n’est pas simplement la préparation de l’étape suivante.

L’expérience d’une attirance fondamentale ou, si vous préférez, la découverte d’un «trésor caché» ou «d’une perle sans prix» dont la possession nous pousse à «vendre tout ce que nous avons» (Mat. 13, 45-46) est une manière de décrire une vocation. Dans ce sens, notre vocation exprime également le choix fondamental qui conditionne le cœur de notre être et demeure inchangé, même quand du matin de la vie nous passons à l’après midi avant d’arriver au crépuscule de notre existence. Avant d’entrer dans la notion de la vocation religieuse, nous pouvons nous demander: comment pouvons-nous dire que le pèlerinage d’une vie est une vocation
En préparation de la 49e Journée Mondiale de Prière pour les Vocations, Le  Pape Benoît XVI nous  rappelait que la vérité profonde de notre existence est contenue dans un mystère surprenant: chaque créature, et en particulier chaque être humain, est «le fruit de la pensée de Dieu et un acte de Son amour, un amour qui est sans limite, fidèle et éternel (cf.Jer.31,3). La découverte de cette réalité est en vérité ce qui change profondément nos existences».(3) Face au mystère de l’existence humaine, la foi chrétienne affirme que l’homme et la femme existent parce qu’ils ont été appelés à vivre par leur Créateur. Vue dans cette perspective, chaque vie humaine est une «vocation», un appel à être et à grandir en communion et en solidarité avec autrui.
Dès lors, cette vocation est dès le début un don gratuit de Dieu (un charisme) et tout à la fois une tâche à accomplir ici et maintenant (un engagement). Charisme et engagement, vocation et mission sont les deux côtés d’une même médaille ou d’une même réalité théologique: la vérité est que nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas perdus au milieu d’un univers impersonnel et froid. Quelles que soient les circonstances particulières de nos existences, nous sommes toujours en relation avec le grand Mystère, qui est à l’origine de tout. C’est un Mystère personnel, que nous appelons “Dieu”, qui nous aime et attend une réponse d’amour de tout homme et de toute femme.(4)

A l’écoute de la Parole

Le pèlerinage de nos vies peut nous conduire par exemple jusqu’à Lourdes ; et alors cette réflexion ne pourra s’empêcher d’être conditionnée par la présence de deux femmes : la Vierge Marie et une jeune paysanne, Bernadette Soubirous. L’histoire de Marie telle qu’elle est racontée dans l’Evangile de Luc, et la brève vie de Bernadette, qui est reprise dans des livres et des films, partagent des points de convergence importants et peuvent nous aider à comprendre en quoi notre vie est vocation. Le cheminement de Bernadette et celui de la Mère de Dieu nous présentent des vies qui sont des réponses à une parole :
− Une parole qui leur parle au plus profond de leur être: Marie reconnaît avec reconnaissance la voix de Celui qui «s’est penché sur son humble servante» (LCD.1,48); Marie, à son tour, se rend visite à Bernadette et lui parle dans son propre dialecte.
− Une parole qui les respecte dans leur dignité; Marie rappelle que «le Tout Puissant a accompli de grandes choses pour moi»; Bernadette rappelle que sa visiteuse si belle «qu’elle l’a considérée comme une personne».
− Une parole qui les envoie en mission vers d’autres.

Il est facile de reconnaître dans l’histoire de Marie et de Bernadette, les caractéristiques principales d’une vocation conforme à la Parole de Dieu:

En chaque vocation biblique, l’initiative vient toujours de Dieu. Yahvé choisit le peuple    d’Israël parce qu’Il l’aime (Dt 7,6-8). Ce ne sont pas les disciples qui choisissent Jésus mais bien Jésus qui les choisit (Jn 15,16; Mc 3,12). Une vocation est profondément personnelle. Dieu connaît et appelle des hommes et des femmes par leur nom.
L’appel personnel de Dieu exige une réponse.

Du point de vue de Dieu, la vocation est toujours un don gratuit : Dieu choisit qui Il veut (cf. Mal 1, 2); le destinataire de la vocation reste libre et il peut la refuser comme c’est le cas du jeune homme riche (cf. Mt.19, 21-22).

De façon étonnante, Dieu ne choisit pas les grands et les puissants de ce monde pour réaliser son plan de Salut. Tout au contraire, l’Ecriture nous montre avec insistance une nette préférence de Dieu pour les petits, ceux qui sont si facilement méprisés. Israël est la plus petite de toutes les nations (Dt 7,7). Dieu s’est penché sur son humble servante (Lc 1, 48). Dieu choisit «ce qui est fou dans le monde pour confondre ce qui est sage, et… ce qui est faible dans le monde pour confondre ce qui est fort,… et les humbles et méprisés de ce monde, ceux qui ne comptent pour rien, pour réduire à néant ceux qui sont quelque chose » (1 Cor 1,27-28).(5)

Comme un pèlerin,  lorsque je réfléchis sur la nature de la vocation en contemplant les icones de Marie et de Bernadette, je suis conduit à trois considérations. D’abord, j’aimerais vous inviter à vous demander quel conseil évangélique pourrait être le plus important pour les religieux/religieuses en Afrique aujourd’hui. Ensuite il faudra approfondir la différence qui existe entre une vocation et une profession ou une carrière. Et enfin, nous nous demanderons comment nous pouvons faire perdurer l’amour.

Le vœu central ?

Est-il utile de mettre en évidence un vœu qui aurait une valeur particulière pour la vie religieuse, en cette seconde décade du XXIe siècle? Si c’est le cas, lequel? Quand on considère le témoignage évangélique des vœux dans le contexte actuel, on pourrait prétendre que la chasteté religieuse a une valeur de témoignage fort, compte tenu des scandales publics causés par les abus sexuels commis par ci et par là, mais aussi compte tenu de la réduction de la sexualité à un simple besoin biologique, en réponse à une pulsion. Par ailleurs, vu la préférence dans notre style de vie pour les laissés pour compte et les pauvres, les religieux/ses veulent mieux comprendre et vivre avec plus de cohérence le conseil évangélique de la pauvreté. Cependant, je prétends que l’obéissance joue un rôle décisif fondamental dans la vie apostolique des religieux aujourd’hui.

C’est pour ainsi dire un cliché d’affirmer que nous vivons dans un monde en mutations rapides, mutations qui touchent l’Eglise et les ordres et congrégations religieux. Notre époque est appelée période de transition et est marquée par de «grands progrès dans les sciences et les technologies ainsi que par des moyens de communication puissants qui parfois colonisent notre esprit».(6) Il y a l’expérience ambiguë de la mondialisation qui nous rend inter-dépendants en même temps qu’elle mine les identités culturelles spécifiques et particulières. Mais notre époque est également un moment de kairos où nous découvrons avec étonnement que le Dieu qui parle est «le Seigneur de l’histoire».Nous faisons l’expérience d’une soif et
d’une crise du sens qui ouvrent des voies pour des milliers de propositions et de promesses».(7)

Même dans cette époque actuelle de «transition», nos Instituts doivent faire des choix. Toutefois, parce qu’il s’agit d’une vocation, la vie religieuse ne doit pas suivre ses propres caprices ni ne peut déterminer les critères qui fixent ses choix à la lumière de sa seule raison. Au milieu de la cacophonie des voix qui cherchent à “coloniser” l’esprit des familles religieuses, nous devons  distinguer la voix de Celui qui nous a appelés à Lui et qui nous envoie prêcher, guérir et préparer les lieux qu’Il veut visiter. (Lc 10,1ss)

L’expérience tumultueuse des évolutions qu’ont vécues nos familles religieuses au cours des cinq dernières décennies ainsi que les changements du monde exigent aujourd’hui que les religieux/ses aient des cœurs capables d’écouter et de discerner, des cœurs libres de suivre les appels de l’Esprit. Voyez-vous à quel point il est nécessaire d’accorder une attention particulière au vœu d’obéissance ? Mais ce vœu d’obéissance doit être compris comme un engagement à entrer dans une quête co-responsable de la volonté de Dieu, conformément au charisme de chaque famille religieuse.

J’aime penser à notre vœu d’obéissance dans le contexte radical décrit par Paul VI: «Bien plus qu’une obéissance purement formelle et légaliste à la loi de l’Eglise ou une soumission à l’autorité ecclésiale, [l’obéissance] est une disponibilité qui introduit dans le mystère du Christ, qui, par sa propre obéissance, nous sauve. C’est continuer Son attitude fondamentale qui consiste à dire Oui à la volonté du Père».(8) Prise dans ce sens fondamental, l’obéissance est en accord avec la Parole de Dieu et avec le riche patrimoine spirituel de nos familles religieuses, elle nous aide à discerner la voix de notre Maître au milieu des autres voix et à reconnaître le kairos au milieu du chaos de notre temps.

Une question et une réponse

L’Evangile présente un grand nombre d’«histoires de vocations», qui montrent les invitations que Jésus fait, et ces invitations sont acceptées ou rejetées. Celle que je préfère est tout l’Evangile de Jean qui commence avec une question et se conclut par une invitation. Les premiers mots de Jésus sont «Que cherchez-vous?» (Jn 1,38); l’Evangile se termine par ces mots à Pierre «Toi, suis-moi» (Jn 21,22). Contrairement à l’appel des disciples dans les Synoptiques, chez Jean, les premiers mots de Jésus à André et à l’autre disciple s’adressent à leur désir, à leurs rêves et leurs idéaux : «Que cherchez-vous ?» l’Evangile est l’histoire de la rencontre étonnante entre Dieu, qui «a tant aimé le monde», et la faim la plus profonde du Cœur humain. L’appel à suivre vient après la révélation du mystère pascal où le plan salvifique du Père est totalement dévoilé.

La quête de Dieu a toujours été la quête de tout être qui a soif de quelque chose d’Absolu et d’Eternel.(9) Les grandes traditions religieuses reflètent cette quête, comme la reflètent d’ailleurs aussi les sociétés sécularisées, dans lesquelles les hommes et les femmes recherchent un sens, un sens à la vie, à la mort, à l’amour et à la souffrance sans faire référence à une foi révélée. Comme Paul dans l’Aréopage, si nous sommes attentifs aux «sanctuaires» que ces sociétés construisent, nous pouvons discerner beaucoup d’autels dressés au Dieu inconnu “Agnostos Theos” (cf. Actes 17,23).
Pour les religieux, la quête d’un sens ultime trouve sa réponse définitive en Jésus Christ. Avec Pierre, nous confessons «Maître, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous sommes convaincus que tu es le Saint envoyé par Dieu» (Jn. 6,68-69). Pourtant, même quand nous reconnaissons avec joie que «nous avons trouvé ce que nous recherchions», comme les
disciples le disent avec enthousiasme à Nathaniel au début de l’Evangile (cf. Jn. 1,41), cette quête se poursuit.

Notre profession religieuse est un approfondissement particulier et fécond du baptême, mais
c’est encore une poursuite de la quête de Dieu.  Quand nous méditons devant l’image de Jésus                                                                                                                                 elle  reste toujours la face cachée du Maître, et donc notre prière est toujours “C’est ta face, Seigneur, que je cherche” (Ps. 27,8).
Des Pèlerins ou des Professionnels?

Il y a des manières de vivre la profession religieuse qui, en réalité, risquent de la réduire à quelque chose de différent. Par exemple, le risque d’identifier la vocation avec la profession. Ceci est particulièrement vrai parmi ceux que l’on appelle les religieux «actifs» ou «apostoliques». Au sens strict, une profession désigne une tâche ou un service spécialisé, alors qu’une vocation est un appel qui résonne au plus profond d’un être, à “l’endroit” où la voix de Dieu peut être entendue. Je vais essayer d’illustrer ce que je veux dire.

Il y a quelques années, je parlais avec un ami, de son expérience. Il a paru un peu perplexe et triste, et il a dit : «  il semble être plus simple de parler de spiritualité avec les associés laïcs qu’avec des confrères ». Comme j’avais déjà eu une expérience analogue avec des communautés, je lui ai demandé, en le mettant pratiquement au pied du mur, qu’il m’explique davantage ce qu’il voulait dire. Il m’a répondu qu’il n’était pas certain mais qu’il a l’impression qu’aujourd’hui, il est très important pour des religieux d’être également des professionnels. Il s’interrogeait, néanmoins, sur le fait que ce type de professionnalisme laissait peut-être fort peu de place à la sphère mystique.

Dans les nations occidentales, quand on parle de “professionnel” cela signifie habituellement des personnes qui ont fait des études assez poussées, qui sont pour la plupart des travailleurs salariés, qui jouissent d’une autonomie dans un poste à responsabilité, d’un bon salaire, et qui ont un travail qui est un véritable défi même sur le plan intellectuel. Si l’on prend une définition moins rigoureuse, ce mot peut renvoyer à une personne qui a des compétences importantes dans un domaine d’activités particulier.(10)

Il est indéniable, selon moi, que la vie consacrée attache, à juste titre, du prix à certaines valeurs du professionnalisme, telle que la priorité donnée à la formation intellectuelle de nos membres et également la mise en œuvre de stratégies de management et d’organisation pour la planification de nos actions et leur évaluation. Même Jésus recommande que l’on compte les briques et les soldats avant de prendre des décisions pour bâtir des tours et partir en bataille (Luc 14, 28-33). Nous avons tous profité de cours lors de notre formation initiale ou permanente. Le P. Gerald Arbuckle SM a mis en évidence les leçons précieuses que les religieux peuvent retirer du monde des affaires et beaucoup d’entre nous ont consulté des penseurs comme Peter Drucker pour aider à ouvrir des voies pour nos communautés.

Le professionnalisme peut donc être utile dans la vie consacrée, tant qu’il est en cohérence avec les valeurs essentielles de notre façon d’être disciples. Ce qui me frappe, c’est que le
problème surgit quand la vie consacrée se réduit au professionnalisme, qu’elle ne témoigne plus clairement de «la seule chose essentielle»(Luc 10,42) ou de la «folie de la Croix» (1 Cor. 1,23). Il y a de nombreuses circonstances qui poussent vers une telle compréhension réductrice de notre vie religieuse.

Au-delà de la valeur que la société occidentale accorde aux études, à l’autonomie personnelle et à l’indépendance financière, il y a aussi une bureaucratisation indéniable de la vie consacrée, qui touche en particulier les membres en responsabilité. Michael Holman SJ, Provincial des Jésuites du Royaume Uni jusqu’en 2011, observe que, durant la domination communiste en Tchécoslovaquie, les autorités avaient trouvé le meilleur moyen pour saper la foi des chrétiens : on donnait encore et encore des formulaires à remplir.(11) Vous vous demandez peut-être si vos administrations générales ou vos diocèses n’adoptent pas la même stratégie! Le P. Holman souligne qu’aujourd’hui nos prêtres et religieux doivent être formés à préparer des évaluations de risques, des rapports santé et sécurité, à participer à des réunions de comité, à gérer des employés, bref ils doivent être formés pour que de telles tâches deviennent des moyens au service de la mission et non une cause de désillusions.(12)

N’est-il pas en fait facile de perdre de vue la mission au milieu de toutes ces exigences administratives qui pèsent sur les supérieurs aujourd’hui? En plus de leurs contraintes administratives, les supérieurs doivent faire face à la pression des besoins individuels des membres des congrégations. George Wilson, SJ a parlé d’une tentation particulière qui séduit les personnes en service d’autorité dans la vie religieuse : être tellement focalisés sur les besoins des individus que l’ensemble du groupe n’a plus de boussole indiquant la direction. Il décrit la possibilité d’une Province ressemblant à un groupe de 100 personnes qui descend une rivière sur un grand radeau. Chaque « passager » est assez satisfait de l’attention que lui accordent ses supérieurs. Toutefois, personne ne remarque que l’entreprise dans son ensemble est en train de prendre l’eau alors qu’elle arrive vers les chutes Victoria !(13)

Il y a des tensions qui sont essentielles à une vie authentiquement humaine. Sans tension, on ne peut pas tenir debout, marcher ou chanter. Je me demande si une tension vitale pour la vie consacrée n’est pas en train d’être assumée d’une manière qui neutralise lentement l’énergie de nos charismes respectifs. Je décrirais cette tension comme la relation dynamique entre ce que nous pouvons et ce que nous devrions faire. Des stratégies de management, ainsi qu’une fragmentation croissante parmi nos membres, peut nous conduire à considérer seulement nos limites plutôt que d’imaginer de nouvelles possibilités.

Un pragmatisme réaliste est certainement une qualité utile mais, si nous voulons être fidèles à notre appel, ce pragmatisme doit accepter d’être mis au défi par les exigences de la Parole de Dieu autant que par les exigences du projet charismatique particulier de notre famille religieuse. L’utilisation de stratégies et de moyens pour faire de la planification, du management et de l’évaluation peuvent mener à une stérilisation bien ordonnée de la mission, si ces outils sont utilisés sans être mis en tension avec un idéal qui représente une prise de risque, apparemment improductive et, pour faire bref, pas du tout professionnel. Jésus ne nous conseille pas seulement de compter les briques et les soldats mais aussi les brebis; toutefois, ces dernières doivent être comptées selon un mode de calcul pas très rationnel qui fait que le berger doit laisser les 99 brebis pour partir à la recherche d’une seule (Mt 18,12). Que dirait l’économe provincial? Les petites embarcations de nos provinces et de nos monastères ne sont pas faites pour la plage, où chacun de nous s’occuperait à réparer les filets. Nous appartenons à des eaux profondes et dangereuses pour y être en quête d’une prise (Lc 5,4).

Comment faisons-nous perdurer l’amour ?

Il y a plusieurs années, j’ai lu un roman qui par ailleurs ne méritait même pas que l’on s’en souvienne, mais dont l’intérêt était une vantardise formulée par l’auteur dans la préface du
 livre. L’écrivain informait son lecteur que le roman lui apprendrait comment on peut faire perdurer l’amour. J’ai lu le roman mais, lorsque je suis arrivé à la fin de l’histoire, j’avais l’impression que la promesse qui avait été faite n’était pas tenue. Toutefois, lorsque je tournais la dernière page, je découvrais un dernier mot de l’auteur, imprimé sur le dos du livre. Le message disait à peu près cela: « Cher lecteur, probablement que vous n’avez pas compris mon message. Si vous voulez faire perdurer l’amour, vous devez vous souvenir de deux principes, et le second est plus important que le premier. Le premier, il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse. Le second, le secret est le mystère. Dès l’instant où vous pensez que l’amour vous est acquis, dès l’instant où vous croyez qu’il vous est dû dans la vie, dès l’instant où l’objet aimé devient comme un meuble dans votre maison – sauf qu’il ou elle se déplace un petit peu – alors votre amour commencera à mourir parce que le mystère n’existera plus. »

On ne peut pas réduire une vocation à l’appel initial de Dieu et, encore moins à la simple réponse d’un être humain. Une vocation, c’est un dialogue permanent entre Dieu et l’homme ou la femme. Tout comme un mariage ne peut pas être réduit à la première déclaration d’amour, à la période des fiançailles, voire même à l’échange des engagements ; une vocation religieuse est réellement une histoire d’amour qui devrait durer toute la vie.

La grâce de la persévérance dans sa vocation, c’est cette volonté de poursuivre un dialogue d’amour où l’invitation, que Jésus nous fait de Le suivre, demeure comme l’étoile polaire qui dirige le cours d’une vie. De là vient l’insistance de l’Eglise sur le fait que la vie religieuse, qui est née de l’écoute de la Parole de Dieu, doit embrasser la suite du Christ, présentée dans les Evangiles, comme sa règle suprême de vie.(14)

Lors des toutes dernières Journées Mondiales de la Jeunesse, célébrées à Madrid avec Benoît XVI, il a rappelé à son auditoire de jeunes religieuses qu’ «une vie consacrée à la suite du Christ, dans sa chasteté, sa pauvreté et son obéissance, devient une ‘exégèse’ vivante de la Parole de Dieu. … Chaque charisme et chaque règle trouve dans cette Parole sa source et cherche à l’exprimer, ouvrant ainsi de nouveaux chemins de vie chrétienne marqués par la radicalité de l’Evangile ».(15)

La nature de la vocation, comprise comme un dialogue qui perdure et comme une vie qui puise sa force dans l’Evangile lui-même, exige que les religieux et religieuses restent dans une relation continue avec La Parole de Dieu. C’est une condition sine qua non pour maintenir le dialogue d’amour qui définit une vocation. C’est aussi une exigence pour que les religieux participent à la tant désirée «nouvelle évangélisation». L’exhortation apostolique Vita Consecrata explique : «Si on veut affronter avec succès le grand défi que l’histoire moderne pose à la nouvelle évangélisation, ce qui est requis par dessus tout, c’est une vie consacrée toujours ouverte et prête à relever les défis lancés par la parole révélée et par les signes des temps».(16)

J’ai l’impression que la vie des instituts religieux donne une priorité croissante à la Parole de Dieu dans leur vie personnelle et communautaire. Pour les religieux aujourd’hui, le dialogue avec la Parole est constitutif de la vie spirituelle, illumine [leur] discernement, critique leur
 style de vie, les appelle à la conversion, renforce la communion, éclaire les décisions fraternelles qui concernent la vie communautaire et la mission et soutient le service d’autorité».(17) Les religieux accomplissent un effort concerté, pour que le dialogue continu
d’amour avec le Mystère, se poursuive, confiants que là est le secret pour faire perdurer.                                       .
Le Cardinal Carlo Maria Martini a fait remarquer dans un texte célèbre :
« Le monde a besoin de personnes qui soient contemplatives, capables de discernement, attentives et courageuses. Cela demandera que, de temps à autre, on fasse des choix nouveaux et inhabituels. Cela exige une qualité d’attention et de mise en évidence des enjeux qu’il n’est pas possible d’avoir si l’on se laisse guider par la seule habitude ou en suivant l’opinion du grand nombre. Mais c’est en écoutant la parole du Seigneur et en percevant l’action mystérieuse du Saint Esprit dans le cœur des hommes qu’on peut l’acquérir. »(18)

Autrement dit, le monde a besoin de femmes et d’hommes qui peuvent percevoir la grâce du don de Dieu, qui les appelle à Lui et puis les envoie de par le monde. Des femmes et des hommes, qui «agissent au nom de la Parole et qui ne se contentent pas de l’écouter» (Jacques 1,22). Des femmes et des hommes qui, comme Marie, notre mère et notre modèle dans la foi, vont conserver précieusement les signes des temps «dans leurs cœurs», c’est-à-dire, au plus profond de leur être, là où la voix de Dieu se fait entendre. Des femmes et des hommes qui savent comment faire perdurer l’amour. 
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1 Vatican II, Constitution Dogmatique sur l‟Eglise Lumen Gentium (1964), 1, 48; Constitution Pastorale sur l‟Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et Spes (1965), 45, 57, 58; Jean Paul II, encyclique Dives in Misericordia (1980), 13.
2 Jean Paul II, Exhortation Apostolique, Vita Consecrata (25 Mars 1996; dorénavant VC), 19.
3 Benoit XVI, Message pour la 49e Journée Mondiale de Prière pour les Vocations (29 Avril 2012), (Vatican: 18 Octobre 2011).
4 Luis González Quevedo,“Vocación: vocación en la biblia”dans Diccionario Teológico de la Vida Consagrada, Ángel Aparicio y Juan Canals (eds.),(Madrid: Publicaciones Claretianas: 2009), 1864.
5 Ibid., 1826
6 Congrès International sur la Vie Consacrée, Document Final Qu’est-ce que l’Esprit dit à la Vie Consacrée? (Rome, Novembre, 2004), n. 2.
7 Ibid.
8 Paul VI, Discorsi al Popolo di Dio 1966-1967 (Rome: Studium, 1968) 119.
9 Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et Sociétés de Vie Apostolique, Instruction Le Service de l’Authorité et l’Obéissance: Faciem tuam, Domine, Requiram, (Cité duVatican 2008), n. 3
10 cf. citations sur http://en.wikipedia.org/wiki/Professional#cite_note-Gilbert-0 .
11 Michael Holman,“Vocations in an ever-changing world”in The Tablet,19 Juin 2010, p.15.
12 Ibid.
13 George Wilson, SJ, “Leadership or Incumbency”,http://gbwilson.homestead. com/Leadership or_incumbency.htm
14 Vatican II, Décret sur la renovation et l‟adaptation de la Vie Religieuse Perfectae Caritatis (Octobre 25, 1965), 2.
15 Benoît XVI,Discours prononcé au Monastère de San Lorenzo de El Escorial,19 Août 2011.
16 VC, 81.
17 Nicoletta Spezzati, ASC, interview dans L’Osservatore Romano, (2 février 2012); ma traduction.
18 C. M. Martini, “L‟uso pastorale della „lectio divina‟”, dans Comunione nella Chiesa e nella società (Bologna, Dehoniane, 1991), 635-647; ma traduction