samedi 8 juin 2013

les axes majeurs de la doctrine de Saint Augustin de la « la grâce »


0. INTRODUCTION

Avant tout développement de notre thème sur les axes majeurs de la doctrine de Saint Augustin de la « la grâce », disons que « Augustin est appelé le ‘docteur de la grâce’ et il faut bien admettre qu’il fut le premier à écrire de manière systématique sur ce sujet… »[1]. Saint Augustin nous a laissé un héritage qui a servi et continue à nous servir dans la théologie de la « grâce ». Ainsi signalons que, pour bien comprendre la pensée d’Augustin, il faut faire recourt aux éléments ou les influences qui ont présidé à l’élaboration de sa théologie de la « grâce ». Disons-le, la pensée d’Augustin a été influencée, d’une part, par la métaphysique néo-platonicienne d’où il tire l’idée de la participation, et, d’autre part, par l’enseignement biblique notamment 1Jean 1,18 ; Rm 5,15-20, etc. et par son expérience personnelle[2].

De ce fait, hormis cette introduction,  dans les lignes de notre travail pratique, nous allons faire ressortir les grandes idées des axes majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Une brève conclusion va boucler notre modeste travail.

1. LA GRACE EST AVANT TOUT UNE RELATION

Chez l’Evêque d’Hippone, parler de la « grâce » renvoie à une sorte de relation entre l’homme et Dieu. Pour lui, la grâce exprime une relation : « Non seulement elle est un ‘pont’ instrumental possible entre l’homme et Dieu, mais encore elle est toujours la bienveillance de quelqu’un qui se donne. Elle n’est donc pas d’abord et seulement un ‘intermédiaire’, même si après Augustin on parlera de grâce ‘créée’ et  de grâce ‘justifiante’ comme de quelque chose existant en soi »[3].

En effet, en parlant de la grâce, Augustin fait allusion au rapport de l’homme avec Dieu ; c’est ce qu’il appelle la « grâce de Dieu » et de façon particulière du rapport de l’homme avec son Rédempteur ou la « grâce du Christ ». Tout cela passe par la charité que le Saint Esprit diffuse dans le cœur de l’homme ou « inspiratio caritatis ». La dimension relationnelle de Saint Augustin est développée dans la référence au libre arbitre et à la liberté[4].

 

2. LA RELATION DE LA GRACE AU LIBRE ARBITRE ET A LA LIBERTE

Augustin fait une distinction entre le libre arbitre et la liberté. Il comprend le libre arbitre comme une faculté de choisir qu’a chaque homme dès sa naissance (il est inné). Aussi affirme-t-il à ce propos : « C’est la volonté elle-même en tant qu’elle appartient à une nature spirituelle. Il ne peut jamais être perdu, même si la volonté se trouve en situation d’esclavage par rapport au péché »[5].  

Selon  Augustin, la liberté n’est pas à considérer d’emblée comme le pouvoir du choix. Elle est à considérer comme l’amour du bien ; elle est « l’état de la volonté orientée vers le bien qui est Dieu. Elle s’inscrit dans le mouvement qui conduit l’homme, selon sa vocation,  à participer à la vie divine »[6]. Ce qui le conduit à dire que cette liberté n’a d’existence que dans la grâce et que Dieu est le premier qui aime et donne. Soutenant cette distinction, il estime que « si l’homme contredit cette orientation, il perd cette liberté. Mais il garde son libre arbitre »[7]. Augustin poursuit en disant qu’« il existe une articulation entre le libre arbitre et la liberté. Le premier sert de médiation à la seconde »[8].

Par ailleurs, pour Augustin, la grâce est souveraine puisque « nous n’avons rien que nous ayons reçu et tout vient de l’initiative gratuite de Dieu. Pourtant, notre libre arbitre demeure, puisque le propre de la grâce est de ne pas nous contraindre mais de nous faire agir librement »[9]. Augustin soutient que sans la grâce nous ne pouvons rien. Selon lui, Dieu donne le posse, le pouvoir, mais pour le facere, le faire, il nous faut la grâce. C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. La question que certains théologiens posent à Augustin est : « Y a-t-il mérite si c’est Dieu lui-même qui opère en nous le vouloir et le faire » ? Il répond  par l’affirmative, parce que quand Dieu couronne nos mérites, il couronne ses propres dons. L’homme, opine-t-il, est libre et cette liberté ne peut s’exercer que poussé par la grâce[10].

3. LA RELATION DE LA GRACE A LA NATURE

A la suite de ces idées nous découvrons une autre relation de la grâce avec la nature créée de l’homme. Par ici, Augustin réfute l’affirmation de Pélage selon laquelle « la grâce pouvait être considérée  dans la création même du libre arbitre en tant que nature, c’est-à-dire le ‘pouvoir’ être libre »[11].  Augustin est contre Pélage qui soutient qu’il y a possibilité pour l’homme de ne pas pécher. Saint Augustin s’inspirant de l’Epître de l’Apôtre Saint Paul aux Romains, affirme que tous les hommes sont pécheurs sans exception aucune : Rm 5, 12-21 ; 1Jn 1,8. Pour lui, dire qu’on n’a pas péché est synonyme de dire qu’on n’a pas besoin du salut du Christ. C’est ce qui le conduit à dire que la nature humaine est blessée, natura viciata, elle est malade, elle a besoin d’un médecin, de la grâce médicale, de la gratia samans. Enfin, Augustin estime que notre liberté est seulement atténuée.

4. LE COMMENCEMENT DE LA FOI ET LA PERSEVERANCE FINALE

Dans les discussions d’Augustin avec les moines d’Adrumète et de province, il se dégage un enseignement positif. Pour Augustin, « la relation de fond entre la grâce et la liberté vaut de la totalité de l’existence de l’homme. Elle marque le commencement de la foi, ou la première conversion ; elle se poursuit pendant toute la vie ; elle se retrouve au terme par le don de la persévérance finale »[12]. Saint Augustin répond aux moines qui insistaient sur l’effort personnel en disant que c’est une tentation vers le pélagianisme, on les appellera sémi-pélagiens. Alors, il dit : la foi vient de Dieu et le tout premier mouvement de la foi vient de Dieu (cf. 1Co 4,7).

5. GRACE ET PREDESTINATION

Avant de développer ce point, il convient pour nous de signaler que la doctrine de la prédestination a été soutenue par Augustin avant même la crise pélagienne, en 397, dans ses deux livres à Simplicien sur diverses questions. Pour Augustin, la prédestination « est l’acte par lequel Dieu décide éternellement le salut de ceux qui seront effectivement sauvés »[13]. A ce propos, Augustin s’est inspiré des textes de saint Paul, entre autres : Rm 8, 29-30 ; Rm 9, 9-21 ; Ep 1,5…

En effet, sans ses écrits, Augustin ne montre pas seulement que le juste pour persévérer a besoin d’une grâce spéciale, il dit aussi que la grâce de la persévérance est une grâce toute puissante et infaillible qui donne au juste non seulement le pouvoir de persévérer mais la persévérance même. Cette grâce est efficace et en même tant gratuite, et Dieu l’accorde à qui il veut. S’adressant à Simplicien, il dit : 

« Ce n’est pas parce que Dieu trouve chez les hommes des œuvres bonnes qu’il est à choisir, que pour cela son dessein de justification demeure ferme ; mais c’est parce que ce dessein demeure ferme pour justifier les croyants qu’il trouve par là des œuvres bonnes dont il fait alors choix pour le Royaume de Dieu »[14].

Ce qui précède le conduit à soutenir que la grâce est un don gratuit de Dieu, qu’il accorde à qui il veut. C’est donc, un fait que tous les justes ne la reçoivent pas. Car, avance-t-il, si tous la recevaient, tous persévéreraient, or, il en est qui tombent et meurent dans le péché. Pourquoi cette discrimination ? A qui pose la question, Augustin répond et c’est sa seule réponse : nous ne le savons pas. Mais, continue-t-il, c’est de sa propre volonté que tombe celui qui tombe.

De notre part, nous nous posons la question de savoir si avec ces idées Augustin a sauvegardé la volonté salvifique universelle ? Le salut n’est-il pas universel ? Néanmoins, nous reconnaissons qu’ici il est allé trop loin. Nous estimons qu’il applique la doctrine Massa damnata, c’est-à-dire que Dieu donne la grâce à certains et laisse les autres dans la Massa damnata[15]. De ce fait, « pour Augustin lui-même, la non prédestination de certains n’est pas arbitraire : elle a en Dieu des raisons que nous ne connaissons pas en ce monde mais que nous connaîtrons dans la vie future ».

CONCLUSION

Somme toute, disons que nous venons de parcourir là les axes majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Ces axes sont : la grâce est avant tout une relation ; la relation de la grâce au libre arbitre et à la liberté ; la relation de la grâce à la nature ; le commencement de la foi est la persévérance finale et grâce et prédestination. L’étude de ces axes nous a fait constater qu’Augustin a tellement insisté sur la grâce qu’il n’a pas respecté la liberté. Si je suis sauvé, dit-il, c’est par la gratia Dei mecum. On le voit, il insiste tellement sur la grâce qu’il en vient à négliger le ego, le moi qui symbolise la liberté.

En effet, Bernard Sesboüé est d’avis avec Augustin du fait qu’il ait affirmé la primauté absolue et donc éternelle de l’initiative divine et de la grâce. Toutefois, il remarque qu’Augustin s’est enfermé dans des concepts trop anthropomorphiques pour penser l’éternité et la causalité divine. L’éternité n’est pas le temps. Or, Augustin tombe sans une représentation temporaire de l’éternité qui amène à situer l’acte de Dieu et l’acte de l’homme sur le même plan, selon l’ordre de l’avant et de l’après. L’Eglise réagit contre une telle manière conception. Nous croyons qu’avec l’aide et la coopération du Christ, tous les baptisés peuvent et doivent, en vertu de la grâce reçue du baptême, accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l’âme, s’ils veulent y travailler. Car dans la doctrine de la prédestination de certains hommes au mal, non seulement beaucoup de théologiens ne l’admettent pas, mais aussi on peut, comme le dit le concile d’Orange en 529, déclarer anathèmes tous ceux qui veulent croire à une pareille énormité. Nous pensons également qu’admettre et soutenir la théorie de la prédestination reviendrait à la remise en question de l’amour de Dieu et de la notion du péché ; en effet, l’amour de Dieu supprime-t-il la responsabilité de l’homme ?      

 

   

 



[1] B. SESBOUE (dir), Histoire des dogmes, Tome 2. L’Homme et son Salut, Paris, Desclée, 1995, p. 287.
[2][2] A ce propos lire Dictionnaire de la Théologie Catholique, Encyclopédie Universalisa, Paris, Albin Michel, 1998, pp. 110-111. 
[3] B. SESBOUE, Op.cit., p. 30.
[4] Cf. Dictionnaire Théologique Catholique, p. 111.
[5] B. SESBOUE, Op.cit, p. 304.
[6] Idem.
[7] Ibidem, 309.
[8]Ibidem, 305.
[9] Idem.
[10] Cf. Dictionnaire de la Théologie Catholique, Op.cit, pp. 112-113.
[11] Cf. B. SESBOUE, p. 306.
[12] Ibidem, p. 307.
[13] Ibidem, p. 308.
[14] AUGUSTIN, cité par Idem.
[15] Ibidem, p. 310-311. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire