0.
INTRODUCTION
Avant tout développement de notre thème
sur les axes majeurs de la doctrine de Saint Augustin de la « la
grâce », disons que « Augustin est appelé le ‘docteur de la grâce’ et
il faut bien admettre qu’il fut le premier à écrire de manière systématique sur
ce sujet… »[1].
Saint Augustin nous a laissé un héritage qui a servi et continue à nous servir
dans la théologie de la « grâce ». Ainsi signalons que, pour bien
comprendre la pensée d’Augustin, il faut faire recourt aux éléments ou les
influences qui ont présidé à l’élaboration de sa théologie de la « grâce ».
Disons-le, la pensée d’Augustin a été influencée, d’une part, par la
métaphysique néo-platonicienne d’où il tire l’idée de la participation, et,
d’autre part, par l’enseignement biblique notamment 1Jean 1,18 ; Rm
5,15-20, etc. et par son expérience personnelle[2].
De ce fait, hormis cette
introduction, dans les lignes de notre
travail pratique, nous allons faire ressortir les grandes idées des axes
majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Une brève conclusion va
boucler notre modeste travail.
1.
LA GRACE EST AVANT TOUT UNE RELATION
Chez l’Evêque d’Hippone, parler de la
« grâce » renvoie à une sorte de relation entre l’homme et Dieu. Pour
lui, la grâce exprime une relation : « Non seulement elle est
un ‘pont’ instrumental possible entre l’homme et Dieu, mais encore elle
est toujours la bienveillance de quelqu’un qui se donne. Elle n’est donc pas
d’abord et seulement un ‘intermédiaire’, même si après Augustin on parlera de
grâce ‘créée’ et de grâce ‘justifiante’
comme de quelque chose existant en soi »[3].
En effet, en parlant de la grâce, Augustin
fait allusion au rapport de l’homme avec Dieu ; c’est ce qu’il appelle la
« grâce de Dieu » et de façon particulière du rapport de l’homme
avec son Rédempteur ou la « grâce du Christ ». Tout cela passe par la
charité que le Saint Esprit diffuse dans le cœur de l’homme ou « inspiratio caritatis ». La
dimension relationnelle de Saint Augustin est développée dans la référence au
libre arbitre et à la liberté[4].
2.
LA RELATION DE LA GRACE AU LIBRE ARBITRE ET A LA LIBERTE
Augustin fait une distinction entre le
libre arbitre et la liberté. Il comprend le libre arbitre comme une faculté de
choisir qu’a chaque homme dès sa naissance (il est inné). Aussi
affirme-t-il à ce propos : « C’est la volonté elle-même en tant
qu’elle appartient à une nature spirituelle. Il ne peut jamais être perdu, même
si la volonté se trouve en situation d’esclavage par rapport au péché »[5].
Selon
Augustin, la liberté n’est pas à considérer d’emblée comme le pouvoir du
choix. Elle est à considérer comme l’amour du bien ; elle est
« l’état de la volonté orientée vers le bien qui est Dieu. Elle s’inscrit
dans le mouvement qui conduit l’homme, selon sa vocation, à participer à la vie divine »[6].
Ce qui le conduit à dire que cette liberté n’a d’existence que dans la grâce et
que Dieu est le premier qui aime et donne. Soutenant cette distinction, il
estime que « si l’homme contredit cette orientation, il perd cette
liberté. Mais il garde son libre arbitre »[7].
Augustin poursuit en disant qu’« il existe une articulation entre le libre
arbitre et la liberté. Le premier sert de médiation à la seconde »[8].
Par ailleurs, pour Augustin, la grâce
est souveraine puisque « nous n’avons rien que nous ayons reçu et tout
vient de l’initiative gratuite de Dieu. Pourtant, notre libre arbitre demeure,
puisque le propre de la grâce est de ne pas nous contraindre mais de nous faire
agir librement »[9].
Augustin soutient que sans la grâce nous ne pouvons rien. Selon lui, Dieu donne
le posse, le pouvoir, mais pour le facere, le faire, il nous faut la grâce.
C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. La question que certains
théologiens posent à Augustin est : « Y a-t-il mérite si c’est Dieu lui-même
qui opère en nous le vouloir et le faire » ? Il répond par l’affirmative, parce que quand Dieu
couronne nos mérites, il couronne ses propres dons. L’homme, opine-t-il, est
libre et cette liberté ne peut s’exercer que poussé par la grâce[10].
3.
LA RELATION DE LA GRACE A LA NATURE
A la suite de ces idées nous découvrons
une autre relation de la grâce avec la nature créée de l’homme. Par ici,
Augustin réfute l’affirmation de Pélage selon laquelle « la grâce pouvait
être considérée dans la création même du
libre arbitre en tant que nature, c’est-à-dire le ‘pouvoir’ être libre »[11]. Augustin est contre Pélage qui soutient qu’il
y a possibilité pour l’homme de ne pas pécher. Saint Augustin s’inspirant de
l’Epître de l’Apôtre Saint Paul aux Romains, affirme que tous les hommes sont
pécheurs sans exception aucune : Rm 5, 12-21 ; 1Jn 1,8. Pour lui, dire
qu’on n’a pas péché est synonyme de dire qu’on n’a pas besoin du salut du
Christ. C’est ce qui le conduit à dire que la nature humaine est blessée, natura viciata, elle est malade, elle a
besoin d’un médecin, de la grâce médicale, de la gratia samans. Enfin, Augustin estime que notre liberté est seulement atténuée.
4.
LE COMMENCEMENT DE LA FOI ET LA PERSEVERANCE FINALE
Dans les discussions d’Augustin avec les
moines d’Adrumète et de province, il se dégage un enseignement positif. Pour
Augustin, « la relation de fond entre la grâce et la liberté vaut de la
totalité de l’existence de l’homme. Elle marque le commencement de la foi, ou
la première conversion ; elle se poursuit pendant toute la vie ; elle
se retrouve au terme par le don de la persévérance finale »[12].
Saint Augustin répond aux moines qui insistaient sur l’effort personnel en
disant que c’est une tentation vers le pélagianisme, on les appellera sémi-pélagiens.
Alors, il dit : la foi vient de Dieu et le tout premier mouvement de
la foi vient de Dieu (cf. 1Co 4,7).
5.
GRACE ET PREDESTINATION
Avant de développer ce point, il
convient pour nous de signaler que la doctrine de la prédestination a été
soutenue par Augustin avant même la crise pélagienne, en 397, dans ses deux
livres à Simplicien sur diverses questions. Pour Augustin, la prédestination
« est l’acte par lequel Dieu décide éternellement le salut de ceux qui
seront effectivement sauvés »[13].
A ce propos, Augustin s’est inspiré des textes de saint Paul, entre autres :
Rm 8, 29-30 ; Rm 9, 9-21 ; Ep 1,5…
En effet, sans ses écrits, Augustin ne
montre pas seulement que le juste pour persévérer a besoin d’une grâce
spéciale, il dit aussi que la grâce de la persévérance est une grâce toute
puissante et infaillible qui donne au juste non seulement le pouvoir de
persévérer mais la persévérance même. Cette grâce est efficace et en même tant
gratuite, et Dieu l’accorde à qui il veut. S’adressant à Simplicien, il
dit :
« Ce
n’est pas parce que Dieu trouve chez les hommes des œuvres bonnes qu’il est à
choisir, que pour cela son dessein de justification demeure ferme ; mais
c’est parce que ce dessein demeure ferme pour justifier les croyants qu’il
trouve par là des œuvres bonnes dont il fait alors choix pour le Royaume de
Dieu »[14].
Ce qui précède le conduit à soutenir que
la grâce est un don gratuit de Dieu, qu’il accorde à qui il veut. C’est
donc, un fait que tous les justes ne la reçoivent pas. Car, avance-t-il, si
tous la recevaient, tous persévéreraient, or, il en est qui tombent et meurent
dans le péché. Pourquoi cette discrimination ? A qui pose la question,
Augustin répond et c’est sa seule réponse : nous ne le savons pas. Mais,
continue-t-il, c’est de sa propre volonté que tombe celui qui tombe.
De notre part, nous nous posons la
question de savoir si avec ces idées Augustin a sauvegardé la volonté
salvifique universelle ? Le salut n’est-il pas universel ? Néanmoins,
nous reconnaissons qu’ici il est allé trop loin. Nous estimons qu’il applique
la doctrine Massa damnata,
c’est-à-dire que Dieu donne la grâce à certains et laisse les autres dans la Massa damnata[15].
De ce fait, « pour Augustin lui-même, la non prédestination de certains
n’est pas arbitraire : elle a en Dieu des raisons que nous ne connaissons
pas en ce monde mais que nous connaîtrons dans la vie future ».
CONCLUSION
Somme toute, disons que nous venons de
parcourir là les axes majeurs de la doctrine augustinienne de la grâce. Ces
axes sont : la grâce est avant tout une relation ; la relation de la
grâce au libre arbitre et à la liberté ; la relation de la grâce à la
nature ; le commencement de la foi est la persévérance finale et grâce et
prédestination. L’étude de ces axes nous a fait constater qu’Augustin a
tellement insisté sur la grâce qu’il n’a pas respecté la liberté. Si je suis
sauvé, dit-il, c’est par la gratia Dei
mecum. On le voit, il insiste tellement sur la grâce qu’il en vient à
négliger le ego, le moi qui symbolise
la liberté.
En effet, Bernard Sesboüé est d’avis
avec Augustin du fait qu’il ait affirmé la primauté absolue et donc éternelle
de l’initiative divine et de la grâce. Toutefois, il remarque qu’Augustin s’est
enfermé dans des concepts trop anthropomorphiques pour penser l’éternité et la
causalité divine. L’éternité n’est pas le temps. Or, Augustin tombe sans une représentation
temporaire de l’éternité qui amène à situer l’acte de Dieu et l’acte de l’homme
sur le même plan, selon l’ordre de l’avant et de l’après. L’Eglise réagit contre
une telle manière conception. Nous croyons qu’avec l’aide et la coopération du
Christ, tous les baptisés peuvent et doivent, en vertu de la grâce reçue du
baptême, accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l’âme, s’ils veulent
y travailler. Car dans la doctrine de la prédestination de certains hommes au
mal, non seulement beaucoup de théologiens ne l’admettent pas, mais aussi on
peut, comme le dit le concile d’Orange en 529, déclarer anathèmes tous ceux qui
veulent croire à une pareille énormité. Nous pensons également qu’admettre et
soutenir la théorie de la prédestination reviendrait à la remise en question de
l’amour de Dieu et de la notion du péché ; en effet, l’amour de Dieu
supprime-t-il la responsabilité de l’homme ?
[1] B.
SESBOUE (dir), Histoire des dogmes, Tome
2. L’Homme et son Salut, Paris, Desclée, 1995, p. 287.
[2][2]
A ce propos lire Dictionnaire de la
Théologie Catholique, Encyclopédie Universalisa, Paris, Albin Michel, 1998,
pp. 110-111.
[3] B.
SESBOUE, Op.cit., p. 30.
[4] Cf. Dictionnaire Théologique Catholique, p.
111.
[5] B.
SESBOUE, Op.cit, p. 304.
[6] Idem.
[7] Ibidem, 309.
[8]Ibidem, 305.
[9] Idem.
[10] Cf. Dictionnaire de la Théologie Catholique,
Op.cit, pp. 112-113.
[11] Cf. B. SESBOUE, p. 306.
[12] Ibidem, p. 307.
[13] Ibidem, p. 308.
[14]
AUGUSTIN, cité par Idem.
[15] Ibidem, p. 310-311.
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