lundi 10 décembre 2012

mission aujourd'hui


                                    LA MISSION DES MISSIONNAIRES DANS
                                  L’EGLISE EN AFRIQUE  AUJOURD’HUI.
Introduction
             Comme nous le savons sans doute que nous pouvons avoir un très bel appartement, mais il faut toujours en avoir la clé pour y entrer. Pour être sûre que nous parlons de la même chose, dans ce premier chapitre, nous allons essayer d’expliquer brièvement les termes «  Église et mission ». Ces mots  semblaient recouvrir des variétés de sens. Il y a un risque que, dès le début, nous comprenions différemment les mots. Pour éviter la confusion, nous allons donner quelques définitions de ces termes ci-dessus. Notons qu’il n’y a rien de très original dans ce que nous allons présenter ici, mais il faut parfois revenir à des notions simples et basiques, si nous voulons comprendre des choses plus compliquées.
 
1 .7.  La  notion de la mission de l’Église                                                               
Selon Youcat, le mot mission vient du mot latin « missio » qui veut dire « envoi ». Youcat continue en disant  que la mission est la raison d’être de l’Église. C’est l’ordre donné par le Christ à tous les Chrétiens d’annoncer l’Evangile en paroles et en actes afin que toute personne puisse se décider librement pour le Christ[1]. « Allez dans le monde entier, proclamer l'Évangile à toute la création » (Mc 16, 15), tel est le mandat que le Christ Ressuscité donne à ses Apôtres avant de monter vers le Père. Mû par un ardent désir de faire connaitre le Christ, Saint Paul dans la lettre aux Corinthiens dit : « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je  n'annonçais pas l'Évangile ! » ( l Co 9,16).
            Selon D. BOSCH, la mission est indéfinissable et on ne peut pas la délimiter et l'enfermer dans une définition. Voilà la tentative d'une définition qu’il nous donne:
« La mission chrétienne met en lumière la relation dynamique entre Dieu et le monde, en particulier telle qu’elle  est d'abord relatée dans l’histoire du peuple de l'Alliance, Israël, et ensuite, définitivement, dans la venue, la vie, la mort, la résurrection et l'élévation de Jésus de Nazareth »[2].
            Selon le Petit dictionnaire de Théologie catholique, la mission chrétienne consiste à prêcher librement l’Évangile au milieu de tous les peuples et dans toutes les situations historiques pour appeler les hommes à la libre obéissance de la foi (Mt 28, 19). Cette mission, ayant un caractère public, modifie nécessairement les conditions sociales aussi, sans avoir directement des buts sociaux  ou politique. Elle se heurtera toujours à la contradiction venant de l’homme pécheur, et elle ne sera jamais achevée[3].   Cette mission fait disparaitre les aversions, elle renverse des murs d’hostilité, elle franchit les frontières entre individus et groupes[4].
Selon Carl Braaten, la mission est le processus qui explore le sens universel de l’Évangile dans l’histoire[5]. Braaten  ne connait pas de meilleure définition de la mission que celle-là. La mission se base sur la conviction que l’Évangile du Christ est valable pour tous les peuples ; conviction qui se manifeste par un effort constant pour rejoindre les autres, réalisant ainsi concrètement cette pertinence universelle.
Missio Dei
La mission c’est, en premier et en dernier lieu, la présence de Dieu et son activité dans le monde. Dieu est la source et la fin de la mission. Le rôle des missionnaires est subordonné au rôle de Dieu et à son service. Le rôle de Dieu est évoqué de diverses manières dans la Bible. L’Évangile de Jean parle du Verbe par lequel tout existe, le Verbe qui éclaire tout homme et donne vie et grâce, le Verbe qui se fait chair en Jésus Christ. St Paul parle du mystère du dessein de Dieu pour le salut de tous (1 Tim. 2, 4), le dessein d’unir toutes choses au ciel et sur la terre en Christ (Eph.1, 10) ou de tout réconcilier dans le Christ (Col. 1, 20). L’Apocalypse parle des "nouveaux cieux et de la nouvelle terre" où Dieu viendra demeurer avec son peuple : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ». Il aura sa demeure avec eux et ils seront son peuple (Ap. 21, 3)[6]. Ce qui est significatif dans ces images qui évoquent la mission de Dieu dans le monde, c’est leur universalité. Elles embrassent toute la race humaine et toute la création. Aujourd’hui, On admet volontiers  cet élargissement du plan de salut de Dieu et de  son intérêt plein d’amour à tous les peuples et à tous les aspects de leur vie.
Selon Pivot, la mission est un appel à la conversion, une exhortation à entrer dans le dynamisme créatif de l’action divine dans le monde  faisant toute chose nouvelle[7].
La mission, c’est Dieu qui se tourne vers le monde avec un amour créatif, un pouvoir rédempteur de guérison et de transformation. Cela a lieu dans l’histoire ordinaire et n’est pas restreint à l’activité de l’Église. Redemptoris Missio parle de la présence et de l’activité de l’Esprit qui "sont universelles, sans limite d’espace ni de temps" (RM 28). De plus, cette présence et cette action de l’Esprit de Dieu "concernent non seulement les individus mais aussi la société et l’histoire, les peuples, les cultures et les religions"(RM 28)[8].
Cette extension universelle de la mission de Dieu (par la Parole et l’Esprit) est le contexte dans lequel nous devons situer la mission. L’Église, et nous tous qui lui appartenons, sommes appelés à participer à un projet qui vient de Dieu et appartient à Dieu. Notre mission n’enlève donc rien à la mission divine. Nous sommes appelés et envoyés pour la seconder et contribuer à sa réalisation. De plus, participant à la mission de Dieu, nous ne partons jamais d’une table rase. Nous rencontrons des êtres humains et un monde où l’Esprit de Dieu est déjà à l’œuvre. Réaliser cela place la mission dans une nouvelle perspective d’ensemble et lui retire beaucoup de son angoisse et de son agressivité. Nous ne sommes pas seuls à porter, un salut qui serait exclusif, à des gens qui n’ont aucune relation de salut avec Dieu. Dieu est présent partout et avant nous, actif dans le sens du salut par des voies qui nous sont inconnues. La tâche de l’Église consiste donc à découvrir et renforcer cette présence et cette action[9].
Après avoir dit cela, nous pouvons penser que le christianisme est entrain d’échouer en Afrique  à cause des guerres, des conflits politiques et  tribaux, des violations des droits de l’homme etc.  Mais c’est dans ce contexte que l’Église doit inventer une manière adéquate d’annoncer l’Évangile, de proclamer un Évangile qui soit bonne nouvelle de salut, libération, justice,  paix et  réconciliation.
 La place et le rôle des missionnaires dans la missio Dei.
Lorsque nous reconnaissons que notre mission ne consiste pas à prendre la suite de la mission de Dieu, mais à y participer, nous commençons à comprendre que notre premier défi est essentiellement celui de la contemplation. La mission est une rencontre avec un mystère : mystère d’un Dieu missionnaire dont l’amour embrasse le monde et tous ses habitants ; mystère de la puissance de l’Esprit présent en des lieux inattendus, de manières imprévues ; mystère de la participation du peuple au mystère pascal de façons que nous n’avons ni connues ni imaginées. Pour rencontrer ce mystère nous avons besoin de regarder, de contempler, de discerner, d’écouter, d’apprendre, de répondre, de collaborer.
Notre première tâche de missionnaires est de rechercher et de discerner où et comment l’Esprit de Dieu est présent et actif parmi ceux à qui nous sommes envoyés, et il s’agit là essentiellement d’un exercice contemplatif. Seul un esprit contemplatif nous permettra de ne pas imposer notre propre programme au dialogue qui existe déjà entre Dieu et le peuple, mais plutôt d’entrer dans ce dialogue avec le cœur et l’esprit du Christ, afin de découvrir le dessein de Dieu. C’est seulement dans la prière que nous pouvons apprendre à respecter la liberté de Dieu présent et actif dans son peuple avant notre arrivée, et à respecter la liberté des gens qui répondent à Dieu à leur manière.
Le mouvement missionnaire moderne a été marqué par un divorce tragique entre contemplation et mission. On a dit, peut-être par plaisanterie, que les missionnaires demandaient aux contemplatifs de s’acquitter pour eux de la prière, tandis qu’ils prenaient la tâche de prêcher l’Évangile et d’établir l’Église. Mais la prière est une dimension intrinsèque, non extrinsèque, de la mission. C’est seulement dans une contemplation priante que les missionnaires peuvent s’accorder au plan missionnaire de Dieu. En dehors de la prière, il y a un risque grave que les missionnaires deviennent les propagateurs d’un Évangile qui n’est pas celui du Christ, et bâtisseurs d’un Royaume qui n’a rien à voir avec le Règne de Dieu. Le dessein missionnaire de Dieu ne peut se glaner qu’à partir d’une écoute profonde de l’Esprit qui a sondé la profondeur de Dieu et connaît les voies de Dieu.

La mission de l’Église en général
1.                   
2.                   
Le Pape Jean Paul II confirme que la mission de l’Église est unique, car elle a une seule origine et une seule finalité, mais elle comporte des tâches et des activités diverses (Cf., RM, n°31). Explicitant l'engagement prioritaire de l'Église, Paul VI écrit : « ... la tache d'évangéliser tous les hommes constitue la mission-essentielle de l'Église» et il continue: « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de I 'Église, son identité la plus profonde ». (EN, n°14).
Poursuivant la même réflexion, le Pape précise que l'Église «existe pour évangéliser, c'est-a-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ dans la sainte messe » (EN, n°14). Si l'annonce de l'Évangile de Jésus-Christ est la tâche première de toute l'Église, il reste vrai que cette annonce se présente sous plusieurs formes. Le Pape Jean Paul II met en évidence deux formes de cette annonce, à savoir: la proclamation de la Parole et le témoignage de vie: « l'Église annonce la Bonne Nouvelle non seulement par  la proclamation de la parole qu’elle a reçue du Seigneur, mais aussi par le témoignage de vie» (EA, n°55).
Même les pères synodaux du deuxième  synode pour l’Afrique confirme l’urgence de l’évangélisation en disant : «  nous sommes convaincus que l’action première et spécifique de l’Église en faveur des peuples africains, c’est la proclamation de l’évangile du Christ ». Ils  continuent en disant ; « nous nous engageons donc à poursuivre énergiquement la proclamation de l’Évangile à l’Afrique, car la vie dans le Christ est un facteur premier et principal du développement »[10].

Cette mission d’évangélisation concerne tout le peuple de Dieu. La nécessité pour les fidèles de partager une telle responsabilité n’est pas seulement une question d’efficacité apostolique, mais c’est un devoir et un droit fondés sur la dignité conférée par le Baptême. C’est pour cela que nous pouvons dire  que tous les laïcs sont missionnaires en vertu de leur baptême. Comme membres du corps du Christ vivant, auquel ils ont été incorporés et configurés par le baptême ainsi que par la confirmation et l’Eucharistie, tous les fidèles sont obligés de coopérer à l’expansion et au développement de son Corps, pour l’amener le plus vite possible à sa plénitude[11].  C’est pour cette raison que le Pape Jean Paul II, va insister en disant que « donc, tous ont besoin d’être préparés, motivés et renforcés pour l’évangélisation, cette formation  inclut les évêques, les prêtres, les membres des instituts de vie consacrée, des Sociétés de vie apostolique et des Instituts séculiers, et tous les fidèles laïcs » (EA, n° 75).

La mission est à la fois unique et plurielle. A l’intérieur de l’unique mission de l’Eglise, les différences dans les activités ne naissent pas de raisons intrinsèques à la mission elle-même  mais des circonstances diverses dans lesquelles elle s’exerce. En considérant le monde d’aujourd’hui, du point de vue de l’évangélisation, le Pape  Jean Paul II décrit trois situations : la situation pastorale pour les communautés chrétiennes bien constituées, la situation de nouvelle évangélisation lorsque des populations évangélisées autrefois ont besoin d’être réveillées dans leur foi, et les situations de mission ad gentes où il s’agit d’annoncer l’Evangile à des peuples, des groupes humains situés dans des contextes socio-culturels où le Christ et son Évangile ne sont pas connus, ou dans lesquels il n’y a pas de communautés chrétiennes assez mûres pour pouvoir incarner la foi dans leur milieu et l’annoncer à d’autres groupes ( RM, n° 33).

            Le Pape Jean Paul II souligne que la mission du Christ confiée à l'Église est encore très loin d'être achevée. Il  affirme  que: « Un regard d'ensemble porté sur l‘humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service » (RM, n°1).

De tout ceci, il ressort clairement que l’évangélisation est la vocation propre de  l'Église. Et cette mission de l'Église  embrasse tous les champs de la vie de chacun et de chacune. Cette mission ne s'arrête pas seulement au niveau spirituel, mais elle prend en considération, la vie sociale, politique et économique du peuple. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile », s’écriait saint Paul (1Co 9,16). Telle est bien, aujourd’hui encore, la mission de l’église en général.

La mission spécifique des missionnaires dans  l’Eglise en Afrique aujourd’hui

Il nous faut préciser que chaque œuvre d’évangélisation  naît comme une réponse à un besoin de l’évangile, besoin qu’un groupe humain ressent, expérimente et exprime. Ce besoin doit être perçu par et dans l’église qui alors, comme assemblée, discerne et trouve des moyens appropriés pour y répondre[12]. Chaque communauté ou église particulière a ses propres besoins selon son histoire et sa géographie. Les besoins peuvent se ressembler, mais ils vont se poser différemment, et les solutions  vont aussi différer selon les lieux et les situations. La deuxième Assemblée spéciale pour l'Afrique du Synode des Évêques s'est tenue à Rome du 5 au 26 octobre 2009 sur le thème: «  L'Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix: 'Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la lumière du monde' (Mt 5,13.14) ».  Le choix du thème était dicté par la situation qui est caractérisé par un climat général de guerres, de conflits armés, d'affrontements meurtriers, de massacres, voire de génocides et autres crimes contre l'humanité[13].
Les événements des dernières années ont montré que, en Afrique, les personnes  blessées sont fort nombreuses : blessées par la politique, l’économie, l’exploitation, l’intolérance religieuse, la concurrence malsaine et parfois violente, la discrimination, le manque de dirigeants, l’ethnicité, la guerre etc.  Et le prix du conflit est énorme: nous pouvons penser à la destruction des infrastructures sociales et économiques, à la perte de vies humaines, aux personnes déplacées et aux réfugiés, aux orphelins, les expériences traumatisantes, la douleur et le chagrin, les effets psychologiques, l’animosité ancrée, les peurs, etc. La réconciliation devient alors un impératif pour toute société africaine affligée[14].

1. La proclamation
Dès l’aube de l’histoire chrétienne, la proclamation de l’Évangile a été un aspect de la mission de l’Église et demeure une exigence qui s’impose aussi bien à notre époque qu’autrefois. Comme le Pape Jean-Paul II l’a affirmé : "l’Église ne peut se soustraire au mandat explicite du Christ ; elle ne peut pas priver les hommes et les femmes de la 'Bonne Nouvelle' qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui (RM 44)." Rejoindre de nouveaux groupes humains demeure toujours une priorité pour les missionnaires. Dans le passé, on identifiait ces groupes en les localisant géographiquement. Le critère géographique peut rester encore un indicateur utile des régions où l’Évangile doit toujours être proclamé, mais il faut aussi d’autres critères (RM 37). Dans le monde changeant où nous vivons, de nouveaux contextes sociologiques et culturels surgissent vers lesquels il faut diriger la lumière et la puissance de l’Évangile du Christ, peut-être pour la première fois. Il y a, par exemple, comme Redemptoris Missio le mentionne, la nouvelle culture créée par les médias, et le monde de la jeunesse de notre temps, le monde instable des réfugiés et des personnes déplacées, et le monde anonyme des mégapoles. Le Pape demande aux missionnaires de prendre spécialement pour but les grandes villes du monde, "les centres où naît, pour ainsi dire, une humanité nouvelle avec de nouveaux modèles de développement" (RM 37 b).
2. Le dialogue avec les croyants des autres religions
C’est un défi relativement nouveau. Les missionnaires du passé ont été accusés d’adopter une attitude plutôt hostile envers les traditions religieuses des peuples qu’on les envoyait évangéliser. Cette critique est en majeure partie injuste, parfois anachronique. Il s’est trouvé de nombreux missionnaires qui montraient un profond respect pour les cultures et les croyances religieuses des peuples où ils étaient envoyés. Mais, enfants de leur temps, ils ne considéraient pas les autres religions comme des véhicules de la Parole de Dieu et des médiations de la grâce pour ceux qui les suivent. Les missionnaires formés à l’école de l’Église d’après Vatican II sont appelés à dépasser les perspectives limitées de leurs prédécesseurs et à voir le visage du Christ en ceux auprès de qui ils portent témoignage de l’Évangile.
Les missionnaires de demain devront développer une théologie de la reconnaissance fondée sur leur propre expérience d’avoir trouvé "le Christ" parmi ceux à qui ils sont envoyés. Ce genre de théologie de base donnera aux missionnaires un fondement solide pour s’engager dans un dialogue fructueux avec les croyants des autres religions. De plus, il ne faut pas regarder ce dialogue comme une simple préparation à la proclamation de l’Évangile. C’est, selon l’enseignement récent de l’Église, une partie essentielle du processus d’évangélisation. C’est une manière de proclamer l’Évangile.
3. L’inculturation et le développement des Églises indigènes
Les missionnaires ont un rôle important à jouer dans le processus d’inculturation et le développement des Églises indigènes. Alors que le concept d’inculturation (incarnation de l’Évangile dans une culture particulière) est relativement nouveau, nous en connaissons la réalité depuis le début du christianisme. La proclamation et l’accueil de l’Évangile dans le monde gréco-romain a été un exemple frappant du processus d’inculturation. Dans ce processus, l’Évangile a trouvé un nouveau langage et la culture en a été transformée.
Plus récemment, beaucoup de missionnaires très connus se sont opposés à toute transplantation artificielle des formes occidentales du christianisme en terre étrangère. Ils voulaient que le message chrétien fondamental prenne de nouvelles formes en venant demeurer chez des peuples nouveaux qui possédaient leur propre et unique culture. La Mission, insistaient-ils, ne devait pas cloner un produit mûr, mais apporter à ce qui naissait quelque chose de nouveau. Pratiquement, il semble pourtant que l’Église primitive ait bien mieux réussi à inculturer l’Évangile que l’Église moderne.
L’église locale doit porter la responsabilité première d’une inculturation progressive de l’Évangile. Le rôle des missionnaires est secondaire, mais cependant d’importance vitale. Ils sont, pour ainsi dire, les "sages-femmes" contribuant à la naissance de nouvelles communautés de disciples du Christ - communautés dotées des richesses culturelles de leur propre terrain et assistées par leurs propres ministres. Ce rôle réclame à la fois humilité et sensibilité. Les missionnaires trop sûrs d’eux-mêmes ou trop préoccupés d’ériger et d’entretenir des structures, peuvent, peut-être sans le vouloir, devenir des obstacles au développement spontané d’une nouvelle vie chrétienne.
4. Renouveler la vigueur de l’Église d’origine
Si les missionnaires peuvent être considérées comme des "sages-femmes" aidant la naissance de nouvelles Églises, ils sont aussi appelés à catalyser le renouvellement continu de leurs "Églises d’origine". Dans le passé, les missionnaires tendaient à se voir comme engagés dans une circulation à sens unique. À eux d’enseigner la vérité de l’Évangile, et aux soi-disant "païens" de le recevoir ; à eux de convertir, aux païens de se laisser convertir. Les missionnaires d’aujourd’hui voient leurs tâches beaucoup plus comme une circulation à double sens, un échange vivifiant entre Églises anciennes et Églises jeunes, lançant des programmes de conscientisation pour aider leurs Églises d’origine à s’engager davantage dans la mission ad gentes.
Autrefois, les programmes de conscientisation missionnaire ont eu le défaut de proposer une image trop héroïque et même romantique du missionnaire, opposée à une image négative des peuples et des cultures où ils travaillaient. Nous ne devrions pas nous étonner de découvrir que, dans nos Églises d’origine, sous la tendre sympathie de surface pour les pauvres âmes abandonnées d’Afrique et d’Asie, il demeure des attitudes très obstinées d’intolérance et de préjugés raciaux. Les sociétés missionnaires sont appelées à participer à l’effort missionnaire interne de leurs Églises d’origine et à leur apporter la richesse de leur expérience interculturelle.
Les missionnaires sont donc appelés à être des catalyseurs dans un double sens : catalyseurs dans la rencontre entre l’Évangile et un peuple nouveau avec sa culture, menant à une nouvelle incarnation du Christ ; et catalyseurs pour la croissance et le renouvellement de leurs Églises d’origine. Les missionnaires doivent interpeller leurs Églises d’origine pour confronter leurs attitudes et leurs valeurs avec celles des peuples à qui ils sont envoyés, parmi lesquels ils travaillent. C’est uniquement de cette façon qu’ils peuvent aider leurs Églises d’origine à développer et faire mûrir leur foi.
5. Libération
Finalement, les missionnaires de demain sont mis au défi de donner une expression concrète à la victoire du Christ sur le mal, et à l’avancée du Règne de Dieu dans le monde. La mission de Jésus sur terre préparait la venue du règne eschatologique de Dieu, événement vraiment révolutionnaire en ce sens qu’il entraînait une transformation radicale de l’ordre social, politique et religieux. Cette mission était Bonne Nouvelle pour les pauvres et les exclus, premiers bénéficiaires des bénédictions du Règne de Dieu.
Aujourd’hui, les missionnaires sont appelés à re-saisir la nature prophétique de la proclamation par Jésus du Règne de Dieu dans notre mission, en tant qu’Église. La réflexion missionnaire récente et sa pratique font ressortir à juste titre que la mission concerne les gens dans la totalité de leurs besoins, qu’elle touche les individus et la société, l’âme et le corps, le présent et l’avenir. Le Règne de Dieu ne signifie rien de moins que la transformation intégrale de l’humanité et du monde. Il entraîne une nouvelle création du monde tel que nous le connaissons, la libération des hommes et des femmes de toute forme de servitude et d’oppression, personnelle et sociale. Il signifie la manifestation et l’accomplissement du plan de Dieu dans toute sa plénitude.
Le caractère intégral du Règne de Dieu exige que la mission de l’Église embrasse un champ plus vaste qu’auparavant. La mission, par conséquent, vise à une libération intégrale des êtres humains, l’Église en est signe et instrument. L’Église n’est fidèle à sa mission que lorsqu’elle rejoint tous les peuples et embrasse toutes les dimensions de la vie, lorsqu’elle s’efforce de renverser les barrières de races, de couleurs, de croyances et de religions, transformant les relations humaines par la puissance bienfaisante de l’Évangile de Jésus-Christ.
Conclusion
Ces cinq défis montrent bien dans quel genre de travail les missionnaires sont appelés à s’investir aujourd’hui. Il est clair que les missionnaires dans un avenir prévisible ne seront pas sans travail. Pourtant, pour en revenir à la remarque faite au début de cet article, la manière dont les missionnaires s’acquittent de leurs diverses tâches est peut-être plus important que ce qu’ils font. Si la mission doit être une proposition qui attire les jeunes de notre temps, elle nécessite un meilleur fondement théologique et une nouvelle approche. Un style plus contemplatif de présence missionnaire, entraînant patience, endurance, connaissance de ses limites, et parfois même retrait, s’impose de nos jours plus que jamais. Une telle manière de faire créera le temps et l’espace nécessaires pour permettre à la semence de la Parole de Dieu "de croître dans son propre terrain (6)".






[1] YOUCAT, Catéchisme de l’Église Catholique pour les jeunes, Cerf, Paris, 2011, p. 16-17.
[2] BOSCH David J., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé-Paris-Genève, Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 21.
[3] Karl Rahner et H. Vorgrimler, Petit dictionnaire de théologie catholique, Editions du Seuil, Paris, 1970, p. 287.
[4] BOSCH David J., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé-Paris-Genève, Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 42
       [5] THE FLAMING CENTRE, The Theology of the Christian Mission, Fortress Press, Philadelphia, 1977, p.2      
[6] BOSCH DAVID J., Dynamique  de la mission chrétienne, Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé-Paris-Genève, Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 525-530.
        [7] PIVOT Maurice, Un Nouveau Souffre Pour La mission, Paris, Atelier, 2000, p. 93.
       [8] MCCABE Michael, « La mission aujourd'hui », in Spiritus , n° 176, septembre 2004, p. 332-343.
       [9] Ibidem.
[10] Message de Pères Synodaux, Afrique, debout, prends ton grabat et marche, Rome, 2009, paragr. 15.
[11]« Mission de l’Eglise »  in Revue Trimestrielle,  n° 97, 1991, p. 64.
[12] Cf. MUBESELA, Notes de Théologie de la spiritualité missionnaire, Institut Saint Eugène de Mazenod, Kinshasa année académique 2009-2010, p. 2.
[13]NTUMBA Valentin, Paul de Tarse, héraut de l’Evangile, Kinshasa, Edicaf, 2011,  p. 194-195.
[14] ENNIN Paul, Le défi prophétique de l’Eglise Africaine, La Diaconie : Les Instituts Missionnaires, Instruments  de Réconciliation, 21 Mai 2010, sur l’internet : conseiller1@smaroma.org

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