LA MISSION
DES MISSIONNAIRES DANS
L’EGLISE EN
AFRIQUE AUJOURD’HUI.
Introduction
Comme nous le savons sans doute que nous
pouvons avoir un très bel appartement, mais il faut toujours en avoir la clé
pour y entrer. Pour être sûre que nous
parlons de la même chose, dans ce premier chapitre, nous allons essayer
d’expliquer brièvement les termes « Église et mission ». Ces
mots semblaient recouvrir des variétés
de sens. Il y a un risque que, dès le début, nous comprenions différemment les
mots. Pour éviter la confusion, nous allons donner quelques définitions de ces
termes ci-dessus. Notons qu’il n’y a
rien de très original dans ce que nous allons présenter ici, mais il faut
parfois revenir à des notions simples et basiques, si nous voulons comprendre
des choses plus compliquées.
1 .7. La
notion de la mission de l’Église
Selon
Youcat, le mot mission vient du mot latin « missio » qui veut dire
« envoi ». Youcat continue en disant
que la mission est la raison d’être de l’Église. C’est l’ordre donné par
le Christ à tous les Chrétiens d’annoncer l’Evangile en paroles et en actes afin
que toute personne puisse se décider librement pour le Christ[1]. « Allez
dans le monde entier, proclamer l'Évangile à toute
la création » (Mc 16, 15), tel est le
mandat que le Christ Ressuscité donne à ses Apôtres avant de monter vers le
Père. Mû par un ardent désir de faire connaitre le Christ, Saint Paul dans la
lettre aux Corinthiens dit : « Annoncer l'Évangile en effet n'est pas pour
moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur
à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! » ( l Co 9,16).
Selon D. BOSCH, la mission est
indéfinissable et on ne peut pas la délimiter et l'enfermer dans une
définition. Voilà la tentative d'une définition qu’il nous donne:
« La mission chrétienne met en lumière la relation dynamique
entre Dieu et le monde, en particulier telle qu’elle est d'abord relatée dans l’histoire du
peuple de l'Alliance, Israël, et ensuite, définitivement, dans la venue, la
vie, la mort, la résurrection et l'élévation de Jésus de Nazareth »[2].
Selon
le Petit dictionnaire de Théologie catholique, la mission chrétienne consiste à
prêcher librement l’Évangile au milieu de tous les peuples et dans toutes les
situations historiques pour appeler les hommes à la libre obéissance de la foi
(Mt 28, 19). Cette mission, ayant un caractère public, modifie nécessairement
les conditions sociales aussi, sans avoir directement des buts sociaux ou politique. Elle se heurtera toujours à la
contradiction venant de l’homme pécheur, et elle ne sera jamais achevée[3].
Cette mission fait disparaitre les aversions, elle renverse des murs
d’hostilité, elle franchit les frontières entre individus et groupes[4].
Selon Carl Braaten, la mission est le processus qui explore le
sens universel de l’Évangile dans l’histoire[5].
Braaten ne connait pas de meilleure
définition de la mission que celle-là. La mission se base sur la conviction que
l’Évangile du Christ est valable pour tous les peuples ; conviction qui se
manifeste par un effort constant pour rejoindre les autres, réalisant ainsi
concrètement cette pertinence universelle.
Missio Dei
La mission c’est, en premier et en dernier lieu, la présence de
Dieu et son activité dans le monde. Dieu est la source et la fin de la mission.
Le rôle des missionnaires est subordonné au rôle de Dieu et à son service. Le
rôle de Dieu est évoqué de diverses manières dans la Bible. L’Évangile de Jean
parle du Verbe par lequel tout existe, le Verbe qui éclaire tout homme et donne
vie et grâce, le Verbe qui se fait chair en Jésus Christ. St Paul parle du
mystère du dessein de Dieu pour le salut de tous (1 Tim. 2, 4), le dessein
d’unir toutes choses au ciel et sur la terre en Christ (Eph.1, 10) ou de tout
réconcilier dans le Christ (Col. 1, 20). L’Apocalypse parle des "nouveaux
cieux et de la nouvelle terre" où Dieu viendra demeurer avec son
peuple : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ». Il aura sa
demeure avec eux et ils seront son peuple (Ap. 21, 3)[6].
Ce qui est significatif dans ces images qui évoquent la mission de Dieu dans le
monde, c’est leur universalité. Elles embrassent toute la race humaine et toute
la création. Aujourd’hui, On admet volontiers
cet élargissement du plan de salut de Dieu et de son intérêt plein d’amour à tous les peuples
et à tous les aspects de leur vie.
Selon Pivot, la mission est un appel à la conversion, une
exhortation à entrer dans le dynamisme créatif de l’action divine dans le monde faisant toute chose nouvelle[7].
La mission, c’est Dieu qui se tourne vers le monde avec un amour
créatif, un pouvoir rédempteur de guérison et de transformation. Cela a lieu
dans l’histoire ordinaire et n’est pas restreint à l’activité de l’Église. Redemptoris
Missio parle de la présence et de l’activité de l’Esprit qui "sont
universelles, sans limite d’espace ni de temps" (RM 28). De plus,
cette présence et cette action de l’Esprit de Dieu "concernent non
seulement les individus mais aussi la société et l’histoire, les peuples, les
cultures et les religions"(RM 28)[8].
Cette extension universelle de la mission de
Dieu (par la Parole et l’Esprit) est le contexte dans lequel nous devons situer
la mission. L’Église, et nous tous qui lui appartenons, sommes appelés à
participer à un projet qui vient de Dieu et appartient à Dieu. Notre mission
n’enlève donc rien à la mission divine. Nous sommes appelés et envoyés pour la
seconder et contribuer à sa réalisation. De plus, participant à la mission de
Dieu, nous ne partons jamais d’une table rase. Nous rencontrons des êtres
humains et un monde où l’Esprit de Dieu est déjà à l’œuvre. Réaliser cela place
la mission dans une nouvelle perspective d’ensemble et lui retire beaucoup de
son angoisse et de son agressivité. Nous ne sommes pas seuls à porter, un salut
qui serait exclusif, à des gens qui n’ont aucune relation de salut avec Dieu.
Dieu est présent partout et avant nous, actif dans le sens du salut par des
voies qui nous sont inconnues. La tâche de l’Église consiste donc à découvrir
et renforcer cette présence et cette action[9].
Après avoir dit cela, nous
pouvons penser que le christianisme est entrain d’échouer en Afrique à cause des guerres, des conflits politiques
et tribaux, des violations des droits de
l’homme etc. Mais c’est dans ce contexte
que l’Église doit inventer une manière adéquate d’annoncer l’Évangile, de
proclamer un Évangile qui soit bonne nouvelle de salut, libération,
justice, paix et réconciliation.
La place et le rôle
des missionnaires dans la missio Dei.
Lorsque nous reconnaissons que notre mission ne consiste
pas à prendre la suite de la mission de Dieu, mais à y participer, nous
commençons à comprendre que notre premier défi est essentiellement celui de la
contemplation. La mission est une rencontre avec un mystère : mystère d’un Dieu
missionnaire dont l’amour embrasse le monde et tous ses habitants ; mystère de
la puissance de l’Esprit présent en des lieux inattendus, de manières imprévues
; mystère de la participation du peuple au mystère pascal de façons que nous
n’avons ni connues ni imaginées. Pour rencontrer ce mystère nous avons besoin
de regarder, de contempler, de discerner, d’écouter, d’apprendre, de répondre,
de collaborer.
Notre première tâche de missionnaires est de rechercher et
de discerner où et comment l’Esprit de Dieu est présent et actif parmi ceux à
qui nous sommes envoyés, et il s’agit là essentiellement d’un exercice
contemplatif. Seul un esprit contemplatif nous permettra de ne pas imposer
notre propre programme au dialogue qui existe déjà entre Dieu et le peuple,
mais plutôt d’entrer dans ce dialogue avec le cœur et l’esprit du Christ, afin
de découvrir le dessein de Dieu. C’est seulement dans la prière que nous
pouvons apprendre à respecter la liberté de Dieu présent et actif dans son
peuple avant notre arrivée, et à respecter la liberté des gens qui répondent à
Dieu à leur manière.
Le mouvement missionnaire moderne a été marqué
par un divorce tragique entre contemplation et mission. On a dit, peut-être par
plaisanterie, que les missionnaires demandaient aux contemplatifs de
s’acquitter pour eux de la prière, tandis qu’ils prenaient la tâche de prêcher
l’Évangile et d’établir l’Église. Mais la prière est une dimension intrinsèque,
non extrinsèque, de la mission. C’est seulement dans une contemplation priante
que les missionnaires peuvent s’accorder au plan missionnaire de Dieu. En
dehors de la prière, il y a un risque grave que les missionnaires deviennent
les propagateurs d’un Évangile qui n’est pas celui du Christ, et bâtisseurs
d’un Royaume qui n’a rien à voir avec le Règne de Dieu. Le dessein missionnaire
de Dieu ne peut se glaner qu’à partir d’une écoute profonde de l’Esprit qui a
sondé la profondeur de Dieu et connaît les voies de Dieu.
La mission de l’Église en général
1.
2.
Le
Pape Jean Paul II confirme que la mission de l’Église est unique, car elle a
une seule origine et une seule finalité, mais elle comporte des tâches et des
activités diverses (Cf., RM, n°31). Explicitant
l'engagement prioritaire de l'Église, Paul VI écrit : « ... la tache
d'évangéliser tous les hommes constitue la mission-essentielle de l'Église» et
il continue: « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation
propre de I 'Église, son identité la plus profonde ». (EN, n°14).
Poursuivant la même réflexion, le Pape précise que l'Église «existe
pour évangéliser, c'est-a-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don
de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du
Christ dans la sainte messe » (EN,
n°14). Si l'annonce de l'Évangile de Jésus-Christ est
la tâche première de toute l'Église, il reste vrai que cette annonce se
présente sous plusieurs formes. Le Pape Jean Paul II met en évidence deux
formes de cette annonce, à savoir: la
proclamation de la Parole et le témoignage de vie: « l'Église annonce la
Bonne Nouvelle non seulement par la
proclamation de la parole qu’elle a reçue du Seigneur, mais aussi par le
témoignage de vie» (EA, n°55).
Même les pères synodaux du
deuxième synode pour l’Afrique confirme
l’urgence de l’évangélisation en disant : « nous sommes convaincus
que l’action première et spécifique de l’Église en faveur des peuples
africains, c’est la proclamation de l’évangile du Christ ». Ils continuent en disant ; « nous nous
engageons donc à poursuivre énergiquement la proclamation de l’Évangile à
l’Afrique, car la vie dans le Christ est un facteur premier et principal du
développement »[10].
Cette mission d’évangélisation
concerne tout le peuple de Dieu. La
nécessité pour les fidèles de partager une telle responsabilité n’est pas
seulement une question d’efficacité apostolique, mais c’est un devoir et un
droit fondés sur la dignité conférée par le Baptême. C’est pour cela que nous
pouvons dire que tous les laïcs sont missionnaires
en vertu de leur baptême. Comme membres du corps du Christ vivant, auquel ils
ont été incorporés et configurés par le baptême ainsi que par la confirmation
et l’Eucharistie, tous les fidèles sont obligés de coopérer à l’expansion et au
développement de son Corps, pour l’amener le plus vite possible à sa plénitude[11]. C’est pour cette raison que le Pape Jean Paul
II, va insister en disant que « donc,
tous ont besoin d’être préparés, motivés et renforcés pour l’évangélisation,
cette formation inclut les évêques, les prêtres, les membres des
instituts de vie consacrée, des
Sociétés de vie apostolique et des Instituts séculiers, et tous les fidèles
laïcs » (EA, n° 75).
La mission est à la fois unique et
plurielle. A l’intérieur de l’unique mission de l’Eglise, les différences dans
les activités ne naissent pas de raisons intrinsèques à la mission
elle-même mais des circonstances
diverses dans lesquelles elle s’exerce. En considérant le monde d’aujourd’hui,
du point de vue de l’évangélisation, le Pape
Jean Paul II décrit trois situations : la situation pastorale pour les
communautés chrétiennes bien constituées, la situation de nouvelle
évangélisation lorsque des populations évangélisées autrefois ont besoin d’être
réveillées dans leur foi, et les situations de mission ad gentes où il s’agit
d’annoncer l’Evangile à des peuples, des groupes humains situés dans des
contextes socio-culturels où le Christ et son Évangile ne sont pas connus, ou
dans lesquels il n’y a pas de communautés chrétiennes assez mûres pour pouvoir
incarner la foi dans leur milieu et l’annoncer à d’autres groupes ( RM, n° 33).
Le
Pape Jean Paul II souligne que la mission du Christ confiée à l'Église
est encore très loin d'être achevée. Il affirme que: « Un regard d'ensemble porté sur
l‘humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous
devons nous engager de toutes nos forces à son service » (RM, n°1).
De tout ceci,
il ressort clairement que l’évangélisation est la vocation propre de l'Église. Et
cette mission de l'Église embrasse tous
les champs de la vie de chacun et de chacune. Cette mission ne s'arrête pas
seulement au niveau spirituel, mais elle prend en considération, la vie
sociale, politique et économique du peuple. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile », s’écriait saint
Paul (1Co 9,16). Telle est bien, aujourd’hui encore, la mission de l’église en
général.
La mission spécifique des missionnaires
dans l’Eglise en Afrique aujourd’hui
Il nous faut préciser que chaque œuvre d’évangélisation naît comme une réponse à un besoin de l’évangile, besoin qu’un groupe humain ressent, expérimente et
exprime. Ce besoin doit
être perçu par et dans l’église qui alors, comme assemblée, discerne et trouve des moyens appropriés
pour y répondre[12]. Chaque communauté ou église particulière a
ses propres besoins selon son histoire et sa géographie. Les besoins
peuvent se ressembler, mais ils vont se poser différemment, et les
solutions vont aussi différer selon les
lieux et les situations. La deuxième Assemblée spéciale pour l'Afrique
du Synode des Évêques s'est tenue à Rome
du 5 au 26 octobre 2009 sur le thème: « L'Église en Afrique au service de la réconciliation,
de la justice et de la paix: 'Vous êtes le sel de la terre... Vous êtes la
lumière du monde' (Mt 5,13.14) ». Le choix du thème était dicté par la situation
qui est caractérisé par un climat général de guerres, de conflits armés,
d'affrontements meurtriers, de massacres, voire de génocides et autres crimes
contre l'humanité[13].
Les
événements des dernières années ont montré que, en Afrique, les personnes blessées sont fort nombreuses : blessées
par la politique, l’économie, l’exploitation, l’intolérance religieuse, la
concurrence malsaine et parfois violente, la discrimination, le manque de
dirigeants, l’ethnicité, la guerre etc.
Et le prix du conflit est énorme: nous pouvons penser
à la destruction des infrastructures sociales et économiques, à la perte de
vies humaines, aux personnes déplacées et aux réfugiés, aux orphelins, les
expériences traumatisantes, la douleur et le chagrin, les effets
psychologiques, l’animosité ancrée, les peurs, etc. La réconciliation devient
alors un impératif pour toute société africaine affligée[14].
1. La proclamation
Dès l’aube de l’histoire chrétienne, la proclamation de
l’Évangile a été un aspect de la mission de l’Église et demeure une exigence
qui s’impose aussi bien à notre époque qu’autrefois. Comme le Pape Jean-Paul II
l’a affirmé : "l’Église ne peut se soustraire au mandat explicite du
Christ ; elle ne peut pas priver les hommes et les femmes de la 'Bonne Nouvelle'
qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui (RM 44)." Rejoindre de
nouveaux groupes humains demeure toujours une priorité pour les missionnaires.
Dans le passé, on identifiait ces groupes en les localisant géographiquement.
Le critère géographique peut rester encore un indicateur utile des régions où
l’Évangile doit toujours être proclamé, mais il faut aussi d’autres critères (RM
37). Dans le monde changeant où nous vivons, de nouveaux contextes
sociologiques et culturels surgissent vers lesquels il faut diriger la lumière
et la puissance de l’Évangile du Christ, peut-être pour la première fois. Il y
a, par exemple, comme Redemptoris Missio le mentionne, la nouvelle
culture créée par les médias, et le monde de la jeunesse de notre temps, le
monde instable des réfugiés et des personnes déplacées, et le monde anonyme des
mégapoles. Le Pape demande aux missionnaires de prendre spécialement pour but
les grandes villes du monde, "les centres où naît, pour ainsi dire, une
humanité nouvelle avec de nouveaux modèles de développement" (RM 37
b).
2. Le dialogue avec les croyants des autres religions
C’est un défi relativement nouveau. Les missionnaires du
passé ont été accusés d’adopter une attitude plutôt hostile envers les
traditions religieuses des peuples qu’on les envoyait évangéliser. Cette
critique est en majeure partie injuste, parfois anachronique. Il s’est trouvé
de nombreux missionnaires qui montraient un profond respect pour les cultures
et les croyances religieuses des peuples où ils étaient envoyés. Mais, enfants
de leur temps, ils ne considéraient pas les autres religions comme des
véhicules de la Parole
de Dieu et des médiations de la grâce pour ceux qui les suivent. Les
missionnaires formés à l’école de l’Église d’après Vatican II sont appelés à
dépasser les perspectives limitées de leurs prédécesseurs et à voir le visage
du Christ en ceux auprès de qui ils portent témoignage de l’Évangile.
Les missionnaires de demain devront développer une
théologie de la reconnaissance fondée sur leur propre expérience d’avoir trouvé
"le Christ" parmi ceux à qui ils sont envoyés. Ce genre de théologie
de base donnera aux missionnaires un fondement solide pour s’engager dans un
dialogue fructueux avec les croyants des autres religions. De plus, il ne faut
pas regarder ce dialogue comme une simple préparation à la proclamation de
l’Évangile. C’est, selon l’enseignement récent de l’Église, une partie
essentielle du processus d’évangélisation. C’est une manière de proclamer
l’Évangile.
3. L’inculturation et le développement des Églises
indigènes
Les missionnaires ont un rôle important à jouer dans le
processus d’inculturation et le développement des Églises indigènes. Alors que
le concept d’inculturation (incarnation de l’Évangile dans une culture
particulière) est relativement nouveau, nous en connaissons la réalité depuis
le début du christianisme. La proclamation et l’accueil de l’Évangile dans le
monde gréco-romain a été un exemple frappant du processus d’inculturation. Dans
ce processus, l’Évangile a trouvé un nouveau langage et la culture en a été
transformée.
Plus récemment, beaucoup de missionnaires très connus se
sont opposés à toute transplantation artificielle des formes occidentales du
christianisme en terre étrangère. Ils voulaient que le message chrétien
fondamental prenne de nouvelles formes en venant demeurer chez des peuples
nouveaux qui possédaient leur propre et unique culture. La Mission , insistaient-ils,
ne devait pas cloner un produit mûr, mais apporter à ce qui naissait quelque
chose de nouveau. Pratiquement, il semble pourtant que l’Église primitive ait
bien mieux réussi à inculturer l’Évangile que l’Église moderne.
L’église locale doit porter la responsabilité première
d’une inculturation progressive de l’Évangile. Le rôle des missionnaires est
secondaire, mais cependant d’importance vitale. Ils sont, pour ainsi dire, les
"sages-femmes" contribuant à la naissance de nouvelles communautés de
disciples du Christ - communautés dotées des richesses culturelles de leur
propre terrain et assistées par leurs propres ministres. Ce rôle réclame à la
fois humilité et sensibilité. Les missionnaires trop sûrs d’eux-mêmes ou trop
préoccupés d’ériger et d’entretenir des structures, peuvent, peut-être sans le
vouloir, devenir des obstacles au développement spontané d’une nouvelle vie
chrétienne.
4. Renouveler la vigueur de l’Église d’origine
Si les missionnaires peuvent être considérées comme des
"sages-femmes" aidant la naissance de nouvelles Églises, ils sont
aussi appelés à catalyser le renouvellement continu de leurs "Églises
d’origine". Dans le passé, les missionnaires tendaient à se voir comme
engagés dans une circulation à sens unique. À eux d’enseigner la vérité de
l’Évangile, et aux soi-disant "païens" de le recevoir ; à eux de
convertir, aux païens de se laisser convertir. Les missionnaires d’aujourd’hui
voient leurs tâches beaucoup plus comme une circulation à double sens, un
échange vivifiant entre Églises anciennes et Églises jeunes, lançant des
programmes de conscientisation pour aider leurs Églises d’origine à s’engager
davantage dans la mission ad gentes.
Autrefois, les programmes de conscientisation missionnaire
ont eu le défaut de proposer une image trop héroïque et même romantique du
missionnaire, opposée à une image négative des peuples et des cultures où ils
travaillaient. Nous ne devrions pas nous étonner de découvrir que, dans nos
Églises d’origine, sous la tendre sympathie de surface pour les pauvres âmes
abandonnées d’Afrique et d’Asie, il demeure des attitudes très obstinées
d’intolérance et de préjugés raciaux. Les sociétés missionnaires sont appelées
à participer à l’effort missionnaire interne de leurs Églises d’origine et à
leur apporter la richesse de leur expérience interculturelle.
Les missionnaires sont donc appelés à être des catalyseurs
dans un double sens : catalyseurs dans la rencontre entre l’Évangile et un peuple
nouveau avec sa culture, menant à une nouvelle incarnation du Christ ; et
catalyseurs pour la croissance et le renouvellement de leurs Églises d’origine.
Les missionnaires doivent interpeller leurs Églises d’origine pour confronter
leurs attitudes et leurs valeurs avec celles des peuples à qui ils sont
envoyés, parmi lesquels ils travaillent. C’est uniquement de cette façon qu’ils
peuvent aider leurs Églises d’origine à développer et faire mûrir leur foi.
5. Libération
Finalement, les missionnaires de demain sont mis au défi de
donner une expression concrète à la victoire du Christ sur le mal, et à
l’avancée du Règne de Dieu dans le monde. La mission de Jésus sur terre
préparait la venue du règne eschatologique de Dieu, événement vraiment
révolutionnaire en ce sens qu’il entraînait une transformation radicale de
l’ordre social, politique et religieux. Cette mission était Bonne Nouvelle pour
les pauvres et les exclus, premiers bénéficiaires des bénédictions du Règne de
Dieu.
Aujourd’hui, les missionnaires sont appelés à re-saisir la
nature prophétique de la proclamation par Jésus du Règne de Dieu dans notre
mission, en tant qu’Église. La réflexion missionnaire récente et sa pratique
font ressortir à juste titre que la mission concerne les gens dans la totalité
de leurs besoins, qu’elle touche les individus et la société, l’âme et le
corps, le présent et l’avenir. Le Règne de Dieu ne signifie rien de moins que
la transformation intégrale de l’humanité et du monde. Il entraîne une nouvelle
création du monde tel que nous le connaissons, la libération des hommes et des
femmes de toute forme de servitude et d’oppression, personnelle et sociale. Il
signifie la manifestation et l’accomplissement du plan de Dieu dans toute sa
plénitude.
Le caractère intégral du Règne de Dieu exige que la mission
de l’Église embrasse un champ plus vaste qu’auparavant. La mission, par
conséquent, vise à une libération intégrale des êtres humains, l’Église en est
signe et instrument. L’Église n’est fidèle à sa mission que lorsqu’elle rejoint
tous les peuples et embrasse toutes les dimensions de la vie, lorsqu’elle
s’efforce de renverser les barrières de races, de couleurs, de croyances et de
religions, transformant les relations humaines par la puissance bienfaisante de
l’Évangile de Jésus-Christ.
Conclusion
Ces cinq défis montrent bien dans quel genre de travail les
missionnaires sont appelés à s’investir aujourd’hui. Il est clair que les
missionnaires dans un avenir prévisible ne seront pas sans travail. Pourtant,
pour en revenir à la remarque faite au début de cet article, la manière dont
les missionnaires s’acquittent de leurs diverses tâches est peut-être plus
important que ce qu’ils font. Si la mission doit être une proposition qui
attire les jeunes de notre temps, elle nécessite un meilleur fondement
théologique et une nouvelle approche. Un style plus contemplatif de présence
missionnaire, entraînant patience, endurance, connaissance de ses limites, et
parfois même retrait, s’impose de nos jours plus que jamais. Une telle manière
de faire créera le temps et l’espace nécessaires pour permettre à la semence de
la Parole de
Dieu "de croître dans son propre terrain (6)".
[2]
BOSCH David J.,
Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles
missionnaires, Lomé-Paris-Genève,
Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 21.
[3] Karl Rahner et H. Vorgrimler, Petit dictionnaire de théologie catholique,
Editions du Seuil, Paris, 1970, p. 287.
[4] BOSCH
David J., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles
missionnaires, Lomé-Paris-Genève,
Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 42
[5] THE FLAMING CENTRE, The Theology
of the Christian Mission,
Fortress Press, Philadelphia, 1977, p.2
[6]
BOSCH DAVID J., Dynamique
de la mission chrétienne, Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé-Paris-Genève,
Karthala-Haho-Labor et Fides, 1995, p. 525-530.
[10] Message de Pères Synodaux, Afrique, debout, prends ton grabat et
marche, Rome, 2009, paragr. 15.
[12]
Cf.
MUBESELA, Notes de Théologie de la spiritualité missionnaire, Institut Saint Eugène
de Mazenod, Kinshasa année académique 2009-2010, p. 2.
[13]NTUMBA Valentin, Paul
de Tarse, héraut de l’Evangile, Kinshasa, Edicaf, 2011, p. 194-195.
[14]
ENNIN Paul, Le défi prophétique de l’Eglise Africaine,
La Diaconie : Les Instituts Missionnaires, Instruments de Réconciliation, 21 Mai 2010, sur
l’internet : conseiller1@smaroma.org
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