PRAXIS THEOLOGIQUE
PERSPECTIVE SISTEMATIQUE
1.
Réflexions
préliminaires du point de vue de la théorie de la science
1.1. Référence
obligée et liberté : deux éléments structurels de toute science
La discussion
actuelle concernant la théorie de la science est caractérisée par deux directions qui, à première vue apparaissent
contradictoires et à la fois convergentes, d’une certaine manière.
D’un côté
on trouve la tentative d’exclure la
théologie du cercle des sciences actuelle en raison de sa référence obligée à
des normes dogmatiques et magistérielles, et de l’exclure aussi, à ce fait, de
ce qui constitue aujourd’hui une université.
D’un autre côté,
on trouve la tentative, entreprise surtout par Pannenberg, de donner un
fondement nouveau à la théologie dans le cadre de la compréhension actuelle de
la science en la comprenant non plus
comme science de la foi, mais comme science de la religion. La théologie
nouvellement comprise comme science de la religion ou comme science du
christianisme ne part plus, d’une manière dogmatique, de la prétention de la
foi chrétienne à être une vérité absolue
et définitive ; elle se comprend, au contraire, comme une théologie
problématique et critique, pour laquelle les thèses de la foi sont des
hypothèses de la science qui, dans le processus scientifique, ne peuvent être
vérifiées à chaque fois que de manière anticipatrice et provisoire.
La diversité de
la réalité exige véritablement une diversité des méthodes scientifiques qui
explorent la réalité.
Selon H.
Scholtz, il y a trois exigences minimales suivantes auxquelles une science doit
corresponde : 1. le postulat de
l’énoncé : une science doit poser
des énoncés dont on affirme qu’ils sont vrais ; 2. le postulat de la cohérence : on ne peut parler de science
que si tous les énoncés d’une science peuvent être formuler comme des
affirmations concernant un domaine constitué par un objet donné ; 3. postulat de la possibilité d’un
contrôle : la prétention des énoncés d’une science d’être vrais doit pouvoir
être vérifiée d’une manière ou d’une autre. Ainsi, on ne peut pas considérer
l’absence de présupposé comme le présupposé d’une science.
Une science n'a pas seulement des
présupposés historiques : elle se réfère objectivement a des axiomes qu'elle
n'est pas en mesure de fonder elle-même, si du moins elle ne veut pas s'engager
dans un regress us in infinitum.
Aussi toutes les sciences ont-elles en commun une dialectique réciproque
entre liberté et référence obligée. Nous pouvons même dire de façon plus précise:
en dernière instance, la liberté scientifique est fondée dans le fait d'être liée
a la vérité propre à un domaine scientifique donné.
En raison de la constitution sociale de la liberté humaine, une telle
liberté scientifique suppose, pour qu'elle puisse se réaliser concrètement, des
institutions de la liberté, c'est-a-dire des institutions scientifiques qui, de
leur cote, sont inscrites dans cette totalité que sont une société, un ordre de
l'Etat et sa constitution.
La liberté scientifique n'est donc jamais possible sans inscription
institutionnelle.
La dialectique entre liens institutionnels et liberté scientifique n’est
donc pas un problème de la théologie seulement, mais un problème de toute
science. Mais en raison de la spécificité de l’objet de
la théologie, cette dialectique prend des formes particulières dans la
théologie.
LA SPECIFICITE DE LA THEOLOGIE COMME SCIENCE
DE LA FOI
La spécificité
de la théologie consiste dans le fait qu’elle n’a pas affaire à un domaine
unique constitué par un objet particulier seulement, mais dans le fait que son
objet est Dieu Lui-même. Pour Thomas, la théologie traite de Dieu, et de tout
le reste pour autant qu’il a un rapport à Dieu comme à son fondement et à sa
fin, Dieu n’est pas un domaine particulier à côté d’autres domaines particuliers,
mais en tant que fondement et fin de toute chose, il est la réalité qui
détermine tout. La théologie traite donc, comme l’a montré J. Simon, du fondement et du
sens ultime de toute réalité qui sont présupposées par les autres sciences, y
compris la science elle-même.
La spécificité
de l’objet de la théologie fonde la spécificité de la méthode scientifique de
la théologie. Etant donné que parler de
Dieu consiste à parler du fondement et du sens
de toute réalité, il ne peut jamais en être d’une manière distanciée et
neutre, mais seulement d’une manière engagée.
Toute connaissance de Dieu implique toujours une
option ; elle est toujours aussi
confession et reconnaissance. Elle n'est pas cependant un risque aveugle, ni
un sacrificium intellectus, mais une option qui peut rendre raison de sa
propre intelligibilité. La théologie catholique a toujours reconnu qu'une
connaissance naturelle de Dieu qui peut être fondée en raison est possible. Deux autres théologiens ont affirmé aussi
que cette connaissance naturelle de Dieu
est fondamentale pour fonder le statut scientifique de la théologie.
Dans la théologie en effet il ne s'agit pas de la foi au sens d'une
confiance générale dans le sens de la réalité ; il s'agit au contraire de la
foi fondée dans l'histoire du salut, de la foi dans la révélation de Dieu dans
l'histoire qui a trouvé son accomplissement eschatologique en Jesus-Christ.
La connaissance de Dieu présuppose
par conséquent I ‘autorévélation de Dieu à l'homme, une autorévélation dans
laquelle Dieu n'est pas seulement l'objet mais la condition de possibilité
de la connaissance. Pour parler le langage de la Bible, la connaissance de
Dieu présuppose l’intelligence nouvelle donnée par Dieu (Rm 12, 2), les yeux du
cœur dont il fait don (Ep 1, 18). Elle n'est pas seulement un credere Deum (croire
que Dieu existe), et pas non plus un credere Deo seulement (Ia confiance
en Dieu), mais un credere in Deum, Ie fait de fonder de façon ultime
notre existence propre, et de ce fait aussi la connaissance, dans la vérité de
Dieu.
Dieu n’est donc
pas l’objet de la foi, mais il est aussi pour elle le fondement de sa
connaissance.
La foi s’effectue moyennant la connaissance et la
compréhension humaine. Il n’ta de foi que comme foi entendue, affirmée,
comprise et attestée de façon humaine. Comme telle, la foi implique une connaissance de la foi et une
compréhension de la foi (intellectus
fidei) dont le croyant peut et doit rendre raison à tous les hommes (cf. 1
P 3, 15).
Qu’est ce que la théologie ? Elle est, selon la
définition classique d’ Anselme de Cantorbery, « fides quaerens intellectum », la foi qui, de part elle-même,
est en quête de compréhension, déploiement du logos immanent à la foi elle-même. Elle se distingue de la
compréhension qu’elle interprète d’une manière réfléchie et méthodique,
cohérent et systématique. Pour ce fait, la théologie n’est pas seulement
connaissance de la foi, mais science de la foi à partir de la connaissance de
la foi. Selon Bonaventure, la foi naît de l’additio
rationis à la fides. C’est pourquoi dans la théologie, il ne s’agit pas
seulement du credibile ut credibile, mais
du credibile ut factum intelligibile.
En tant que science de la foi précisément, la théologie
n’est donc pas une science ésotérique : elle rend raison de ses
présupposés et de ses méthodes. Ainsi Thomas dit de la théologie comme de la
philosophie : « Disputat cum
negante sua principia. » Notons bien : disputat, non criticat vel damnat ! De cette manière, la compréhension de la théologie comme science
de la foi résultent aussi bien ses références obligées que sa liberté.
2. Les références
obligées propres à la théologie
2.1. La référence
est liée à la vérité de la foi
La référence obligée propre à la théologie n’est pas au
premier chef le magistère de l’Eglise,
mais la vérité de la foi chrétienne. Selon la conviction chrétienne, cette
vérité s’est manifestée une fois pour toutes en Jésus Christ.
De ce fait la théologie est aussi, comme science de la
foi, une science ecclésiale.
L’interprétation de la révélation relative au Christ est
donc nécessairement référée au contexte de la vie de l’Eglise. Ainsi comme l’a
dit le Pape a Altötting, le domaine du théologien, ne sont pas « des dates
ni des objets purement historique dans une éprouvette artificielle »,
c’est la « foi vécue dans l’Eglise. Il s’agit de tout ce que l’Eglise perpétue et transmet à travers le temps
« dans sa doctrine, sa vie et son culte », de « tout ce qu’elle
est elle-même, de tout ce qu’elle croit ».
2.2. La théologie
est liée au témoignage authentique de la foi
La vérité de la foi chrétienne en effet est une vérité
qui repose sur un témoignage.
L’attestation de la vérité de la foi est alors
affaire de tous les chrétiens. Et que
l’autorité du magistère ne se situe pas au dessus de l’Eglise. C’est pourquoi
il ne peut exercer son ministère
spécifique qu’en communion avec l’ensemble de la communauté de foi qu’est
l’Eglise et avec les autres chrétiens, et vice versa.
3.
La liberté propre à la théologie
3.1. L’autonomie
relative à la science
Etre lié par la foi à l’Evangile de Jésus-Christ a un
caractère libérateur (Ga 5, 1- 13). Ce qui caractérise la vérité chrétienne est
qu’elle rend libre ( Jn 8, 36). La liberté de la théologie n’est donc fondée
que de façon seconde dans la liberté de la science, garantie par la constitution : Elle
resulte en premier lieu de l’Evangile, qui est bl’objet même de la théologie. La
liberté de la théologie doit donc être comprise comme liberté chrétienne dans
la foi à partir de la foi.
3.2. L’autonomie
relative de la théologie
Elle est libre dans l’application de ses méthodes et de
ses analyses.
Comme toutes les autres sciences, la théologie est donc
libre dans le choix de ses méthodes. Mais la tension entre la référence obligée
que constitue la foi et la liberté de la science doit donc être endurée tout
d’abord à l’intérieur de la théologie elle-même.
4.
La tension inscrite dans la théologie elle-même en tant
qu’elle est science de la foi
4.1.La correspondance
de principe entre foi et connaissance
Comprendre la théologie comme science de la foi recèle
manifestement une tension inouïe. C’est
dans l’analogie entre connaissance de la
foi et connaissance naturelle que résulte l’intellectus
fidei.
A Cologne Jean Paul II rappelle cela en disant que malgré
la correspondance de principe entre foi et connaissance, des conflits sont
possibles entre foi et connaissance, 1. En raison de la finitude de la raison
humaine, 2. En raison de sa possibilité d’errer.
4.2.La possibilité de
conflits et leur dénouement
La solution d’un tel conflit est possible d’une double
manière. 1. Soit que l’on montre que les arguments avancés contre la foi ne
sont pas probants, et qu’ils peuvent donc être defaits au sens du « solvere
rationes » de Thomas. 2.
Soit que l’on montre que l’interprétation de la foi en question était fausse,
conditionnée par le temps, et qu’elle n’était pas suffisamment profonde et
ample. C’est ainsi que le Concile le voit à propos du cas de Galilée.
Ces conflits qui
surgissent à l’intérieur de la théologie entre
foi et connaissance peuvent donc, eux aussi, être résolus par principe
par la voie de la science.
La théologie ne
peut pas s’émanciper par rapport à la foi de l’Eglise, mais elle peut et doit
la réfléchir et l’interpréter. En ce
sens, la Pape dit du théologien : « Il peut et doit avancer des
propositions nouvelles pour
l’intelligence de la foi, mais ces propositions ne sont qu’une offre faite à
toute l’Eglise », et qui doit être corrigée et élargie.
5.
Référence obligée et liberté de la théologie : leur
expression institutionnelle dans le rapport entre magistère de l’Eglise et
science théologique
5.1. Ce qui est commun au magistère et à la théologie
Ce qui est commun au magistère et à la théologie commence
déjà avec la fait que dans ces deux cas nous avons affaire à des institutions.
Et ce qui importe davantage encore, c’ezst l’institutionnalité scientifique
propre à la théologie.
Du point de vue théologique, Magistère et Théologie ont
pour tâche commune, bien qu’à assumer d’une manière propre à chacun, de
« garder le trésor sacré de la révélation, de la comprendre plus
profondément, de l’interpréter, de l’enseigner et de le défendre ». C’est pourquoi ils sont liés ensemble : 1. à la parole de Dieu, telle qu’elle est
attestée surtout dans l’Ecriture. 2.
au sens de la foi de l’Eglise. 3.
aux documents de la révélation et 4.
à la mission pastorale de l’Eglise. Bref, magistère et théologie ne se font
pas face comme deux grandes puissances ennemies. Tous deux sont des ministères dans l’Eglise et pour l’Eglise.
Ils sont soumis ensemble à la parole de Dieu, et ont à la
servir. Tous deux sont liés par cette vérité qui, de ce fait, les lie aussi
l’un à l’autre, mais qui les libère en même temps et les établit chacun,
magistère et théologie, dans la tâche qui lui est propre.
5.2. Différence
entre magistère et théologie
La tâche du magistère est d’attester la révélation avec
autorité et de façon officielle. Le magistère s’exprime de façon authentique,
c'est-à-dire avec autorité au nom de Jésus-Christ et de l’Eglise. De ce fait le
magistère est service de l’unité de la foi. Ce service ne s’effectue pas
seulement de façon négative, mais d’abord
d’une manière positive, au sens d’une attestation pastorale et
missionnaire de la vérité qui s’effectue
sous la forme d’une proposition convaincante.
Enseigner avec autorité implique cependant qu’on enseigne
de façon argumentée ( cf. 2 Tm 4,2 ; Tt 1,9).
Le style « argumentatif « qui est attendu
ainsi du magistère ecclésial ne signifie
pas que le magistère doive se placer sur le terrain de la science théologique.
Argumenter à partir de la connaissance de la foi est autre chose qu’argumenter
à partir de la science de la foi. Une telle manière d’argumenter a sa structure
et sa logique propres qu’on peut qualifier de « parénétiques ».
Pour pouvoir accomplir cette tâche sans grandes
difficultés et de manière créatrice et fructueuse, le magistère de l’Eglise a
besoin de la théologie qui étudie et présente la tradition de la foi d’une
manière scientifique, c'est-à-dire, d’une manière réfléchie et méthodique,
cohérente et systématique, et qui l’actualise de manière vivante en débat avec
les courants spirituels du temps. Ainsi la théologie ne parle pas avec une
autorité officielle, qui engage la communauté ecclésiale, ni avec une autorité disciplinaire et
juridique. Elle ne dispose que de l’autorité des arguments, sa compétence
n’est pas le sententailiter determinarer, mais le magistraliter determinarer. La nature de l’autorité à chaque fois
différente du magistère et de la théologie est fondée d’une manière à chaque
fois différente. L’autorité du magistère ecclésial a son fondement dans l’ordination
sacramentelle qui, « en même temps que la charge de sanctifier, confère
aussi les charges d’enseigner et de gouverner ».
L’autorité du théologien en revanche s’enracine tout
d’abord dans sa qualification et sa
compétence scientifique. Au-delà, en
tant que science de la foi, la théologie suppose également une compétence dans
la foi Elle a aussi une racine charismatique. Comme le disent les les
théologiens médiévaux, elle n’est pas seulement une science, mais aussi sapientia,
sacra doctrina qui présuppose le lumen fidei. Pour cela il est
nécessaire de chercher le sens de la
missio ecclésiale. En ce sens la missio fonde une participation au magistère de
l’Eglise.
5.3. Relations
mutuelles entre magistère et théologie aujourd’hui
La relation entre le magistère et la théologie peut être
décrite aujourd’hui comme une relation entre partenaires. « Partenariat » ne signifie pas nivellement. « Partenariat » suppose des
différences.
Définir la relation entre magistère et théologie comme une relation entre
partenaires ne signifie dons ni que la théologie doive assurer elle-même des
fonctions magistérielles qui lui seraient propres, ni que le magistère doive
passer du terrain de l’annonce et de la décision à celui du débat théologique
scientifique.
Au contraire, magistère et théologie se trouvent référés
l’un à l’autre et ont à coopérer l’un avec l’autre. Le magistère devrait
reconnaître explicitement la nécessité de telle interprétation nouvelle, et
être conscient de ce qu’une orthodoxie morte n’est pas une orthodoxie
véritable. Au contraire, les théologiens devraient régler tout d’abord
eux-mêmes leurs conflits et pratiquer
l’autocritique réciproque.
Toute intervention du magistère n’est pas un empiétement
qui menace la liberté de la théologie.
Tout théologien a le droit et le devoir de prendre parti
contre un théologien et pour le magistère s’il est convaincu de la justesse de
la décision de celle-ci.
Une détermination des relations entre magistère et
théologie qui exclurait de prime abord tout conflit est inconcevable par
principe.
Les circonstances des conflits ne sont pas nécessairement
des signes de dégénérescence, mais peuvent être aussi des signes de vie, car
comme l’a dit J.A. Möhler, toute vie se meut dans des tensions.
C’est pourquoi un théologien pourra avoir le devoir de
critiquer un représentant du magistère s’il s’exprime de façon théologiquement
irresponsable ou s’il intervient sans compétence dans le domaine de la
théologie.
Il convient au théologien de pratiquer l’humilité, au
sens d’une attitude toujours renouvelée d’écoute incluant l’autocritique et de
disponibilité à servir l’édification de l’Eglise. Mais une disponibilité qui
s’accompagne d’une franchise, comme dit Kant qui ne porte pas la traîne derrière
le magistère, mais porte le flambeau devant lui pour ouvrir des possibilités
nouvelles de comprendre l’Evangile. C’est pour cela que le magistère et les
théologiens ne peuvent pas être réduits l’un à l’autre.
Aujourd’hui tout particulièrement ils ont besoin, de
façon urgente, de se référer l’un à l’autre.
Aujourd’hui tout particulièrement il leur faut aller à la
recherche de formes nouvelles de communio.
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