Introduction
La mission de l’Eglise a-t-elle
changé, ou demeure-t-elle la même ? Ne s’agit-il pas d’un « nouvel âge
de la mission » quand on parle plus d’évangélisation et de témoignage que
de « mission » ? Les défis culturels, les changements de
paradigmes tant en Philosophie qu’en Théologie n’ont-ils pas rongé sa
contexture ? Le dialogue qui s’impose aujourd’hui avec d’autres religions
et qui n’est vrai que si elles partent toutes « à pied d’égalité »
n’entame–t-il pas l’urgence de cette mission ? Si « l’Eglise est
missionnaire par essence et par nature », quelles orientations s’imposent
dans l’actualité de cette mission au sein de nos Eglises ?[1] Voila
tant de questions qui ont permis à l’Institut Africain des Sciences de la
Mission (I.A.S.MI) d’ouvrir, sur la somptueuse cour de la réflexion théologique
en Afrique aujourd’hui, les portes de la Revue Africaine des Sciences de la
Mission (RASM). Nombreux ont été les grands esprits qui ont contribué à la
naissance de ce nouveau creuset de réflexions. Avec son article d’une
pertinence remarquable intitulé « De
Jérusalem à Antioche – De Antioche à Jérusalem » paru dans ce premier
numéro d’aout-décembre 1994, de la page 205 à la page 214, le Père Oscar
Bimwenyi Kweshi ne se fera pas raconter l’événement. Et c’est justement cet
article que nous essayerons d’élucider dans le développement de notre travail.
Mais avant cela, il sera intéressant que nous présentions brièvement la personne
de l’auteur, à travers sa biographie et certaines de ses œuvres. Ainsi aurons-nous,
en amont, la vie de l’auteur et son parcours(I) et, en aval, un bref exposé de
la pensée de l’auteur (II).
1-
Vie et œuvres de l’auteur
Par rapport à sa vie, soulignons que
né le 04 décembre 1939 à Bena-Monyo près de Luebo en République Démocratique du
Congo, de père Zébebée Bende et de mère Anne Matshingi, le Professeur Oscar
Bimwenyi Kweshi a fait les études primaires à Luebo. Après ses études
secondaires à Kabwe, il entre au Grand Séminaire pour y faire la Philosophie et
la Théologie. Ordonné Prêtre le 04 aout 1968 après une année d’études à
l’Université de Lovanium, il assuma la charge de Vicaire paroissial à
Luebo-Kasenge de 1968 à 1970. De 1970 à 1977, il étudie à l’Université
Catholique de Louvain (Belgique), d’abord dans le cadre du Second Cycle de
Théologie où il s’intéresse surtout au problème fondamental du « langage
religieux ». Il produit alors en 1973 un Mémoire de Licence en Théologie
intitulé : « Pertinence et
originalité du langage religieux : les donnés du problème. »
Ensuite, ayant poursuivi l’approfondissement de la base anthropologique et de
la Philosophie du langage, il défendra sa Thèse de Doctorat en Théologie, sous
le titre : « Discours
théologique Négro-africain. Problème des fondements. » De retour au
Congo, il assumera respectivement une fonction à la Paroisse de Ndjoko-Punda de 1977 à
1979 ; une fonction à la Commission dogmatique de la Conférence Episcopale
du Congo (C.E.C.) de 1979 à 1981 ; Secrétaire Général de la C.E.C. de 1981
à 1984. Pendant la période de sa charge comme Secrétaire Général, il exerçait
aussi la charge de Professeur aux Facultés Catholique de Kinshasa jusqu’en 1986
où il sera nommé Vicaire Général à Luebo. Cette charge, il l’assumera seulement
pendant quelques mois au Monastère, d’abord à Kalenda, ensuite à partir de 1997
à Yangala. Soulignons aussi que durant cette même période où il assumait sa charge
de Vicaire Général, il dispensait des cours non seulement au Grand Séminaire
Malole, mais aussi à l’Institut de Théologie Saint Eugène de Mazenod à Kinshasa.[2]
Par rapport à ses œuvres, nous devons
soulignons que nombre important sont les réflexions, les ouvrages qui ont porté
la signature de l’auteur. Aussi doit –on noter le souci majeur qui l’anime, et
qui donne une marque particulière è tous les sujets qu’il a à aborder, malgré
leurs diversité et densité. Il s’agit en fait du souci de formuler un discours
théologique véritablement africain à partir du dialogue entre l’héritage religieux
africain et l’héritage chrétien universel. Ainsi, durant ses études du Premier
Cycle de la Théologie à la Faculté de Théologie de Kinshasa (FTK), le jeune
Etudiant s’est manifesté, très tôt, habité par le souci de l’« africanité »
à mieux connaitre, promouvoir et, du point de vue religieux, à intégrer dans
les structures mentales et rituelles du Christianisme implanté en Afrique. Ses
jeunes recherches ont aboutit à la publication d’articles portant sur les
aspects de la vie religieuse des peuples « Bantu » face au
Christianisme. Il a, en effet, publié entre autres :
1-
« Le muntu à la lumière de ses croyances en
l’au-delà », Cahiers des Religions Africaines, juin 1968.
2-
« Le Dieu de nos ancêtres », Cahiers
des Religions Africaines, juillet 1970.
3-
« Le problème du Salut de nos Ancêtres. Le
Christ, pole d’attraction de toutes choses. », Revue du Clergé
Africain, janvier 1970.
4-
« Problème du Christianisme, ferment de
développement. », Revue du Clergé Africain, mai 1970.
Mais que dit-il au juste par rapport
à la brulante question des nouveaux appels de la mission, question à laquelle ce
premier numéro de la Revue Africaine des Sciences et de la Mission veut tenter
des approches de réponse ?
1-
De Jérusalem à Antioche – De Antioche à Jérusalem
Dans cet article, le Père Bimwenyi
Kweshi cherche à répondre aux questions de la Mission et de l’Evangélisation,
mais surtout celle de l’inculturation aujourd’hui. En effet, dans quelles
conditions la Mission, voire l’inculturation doit se faire aujourd’hui ?
En d’autres termes, quelle doit être aujourd’hui la spécificité du dialogue
entre Eglises du Nord et Eglises du Sud, entre « Centre » et
« Périphérie ».
Selon l’histoire, ce titre « De Jérusalem à Antioche – De Antioche à
Jérusalem » fait allusion aux circonstances dans lesquelles le Concile
de Jérusalem s’était tenu, et les résolutions salutaires de ce Concile pour la
survie de l’Eglise naissante. Il s’est en effet posé, tout au début de l’Eglise
du Christ, une question de fondement. Il s’agit de savoir quelles sont les
conditions du salut ? Pour être sauvé, suffit-il de recevoir le baptême au
nom du Christ ; ou bien, en plus de cela, faut-il pratiquer certaines
coutumes propres aux Juifs ? Faut-il donc renoncer à sa propre culture pour
embrasser la culture juive ? A cette question, le Concile répondit explicitement en ces termes :
« Attention, n’allons pas mettre sur les épaules des païens un
poids lourd à porter, que même nous sommes incapables de
porter ? N’allons pas lier le salut à des histoires qui ne sont pas
vraiment nécessaires. Les coutumes et les habitudes des Juifs, laissons-les aux
Juifs. S’ils y tiennent, qu’ils y tiennent. Mais quand à les imposer aux
autres, non ! N’abusons pas : la foi les a purifiés, tous comme nous »[3].
Il apparait donc que ce qui fait
vivre, ce n’est pas l’observance de la loi, mais la foi en l’amour gratuit de
Dieu. En effet dans son processus d’expansion, le Message chrétien se trouve
inconditionnellement et constamment confronté aux interrogations existentielles
que lui pose sa culture spécifique d’accueil. Et pour y répondre, l’interprétation
qu’il fait de son propre contenu, diffère selon son interlocuteur culturel.
Ainsi, même si le fond du Message demeure inchangé, le cadre juridique ou la
forme subit quelque modification due aux besoins spécifiques de chaque culture.
Voilà justement ce que Pierre a compris dans sa rencontre avec le Centurion
romain Corneille quand celui, possédé par l’Esprit, lui annonce la vérité du
dessein de Dieu. En fait dans ce dialogue avec le Païen Corneille, Pierre
comprend mieux le contenu du message et du projet de Dieu, grâce à l’Esprit
Saint qui parlait par la bouche du Païen. Pierre comprend alors que « Dieu
ne fait acception de personne. Mais chez toutes les nations, quiconque le
craint et pratique la justice lui est agréable »[4]. Ainsi
la relation qui doit exister entre Eglises du Nord et Eglises du Sud, doit être
une relation de collaboration dans la différence, de complémentarité dans la
diversité ; l’Esprit ne faisant donc pas acception d’aucune d’elle, mais
produisant des merveilles en leur sein. Le « Centre » doit pouvoir être
humble pour reconnaitre et accepter les richesses que lui propose la
« Périphérie ». De même la « Périphérie » doit être humble
pour continuer à recevoir du « Centre ». Aujourd’hui, la Mission doit
donc se faire dans une relation d’échanges et de respect mutuel entre les deux
pôles.
Cependant, devant la question de
savoir s’il faut d’abord renoncer à sa propre culture avant d’être sauvé,
n’est-il pas légitime de comprendre, par là, qu’il faut avant tout renoncer à soi-même ?
Il est en effet évident que renoncer à
sa culture, c’est renoncer à soi-même, car c’est elle qui transmet à la
personne la toile de fond de sa personnalité. Et si nous comprenons la question
de la sorte, dans ce débat entre les Eglises dans le cadre de la Mission, alors
il y a lieu que soit levée cette ambiguïté. En effet le Christ nous recommande
impérativement de renoncer à nous-mêmes si nous voulons le suivre. Dans ce
sens, renoncer à soi-même constitue la condition sine qua non pour être sauvé.
Mais dans ce contexte-ci de la relation entre Eglises du Nord et celles du Sud,
renoncer à soi-même ne veut nullement dire renoncer à sa propre culture. Cette
expression veut en fait dire renoncer au péché ; éviter le centrisme
culturel ou racial en tant qu’individu, collectivité ou culture ;
découvrir et reconnaitre la présence et la manifestation de l’Esprit Saint dans
le cœur de tout individu, au cœur de toute collectivité et de toute culture.
Renoncer à soi-même, c’est en fait faire comme le Christ : lui, qui est
d’une autre condition, a accepté la condition humaine, le cadre socioculturel
et juridique d’une culture spécifique pour annoncer la Parole de Vie à
l’humanité entière.
Mais concrètement, quelle doit être la
spécificité du dialogue entre les Eglises aujourd’hui ? Ce dialogue ne
doit pas se fonder sur les principes qui gouvernent la coopération Nord-Sud
entre les Etats sur les plans politique et économique. Il ne doit pas non plus être
influencé par les cofinancements dans lesquels l’Eglise s’engage aux cotés de
des Gouvernements étatiques. Ce dialogue doit se fonder sur le seul et unique
principe du « même Dieu, même foi, même baptême »[5] qui fait
que l’Eglise du Nord et l’Eglise du Sud, le Chrétien du Nord et le Chrétien du
Sud ne font qu’une même réalité : Corps mystique du Christ.
Conclusion
En somme, par rapport à l’urgente
question de savoir les conditions dans lesquelles la Mission doit se dérouler
aujourd’hui, le Père Oscar Bimwenyi Kweshi a tenté une réponse. En se fondant
sur les questions ayant poussé à la tenue du Concile de Jérusalem, il préconise
une relation d’échange et de respect entre le « Centre » et la
« périphérie ». En effet, ces deux pôles sont tous riches en
expériences, à cause de la présence agissante de l’Esprit de Dieu en leur sein.
Ils doivent donc tous deux « chausser Jésus-Christ et ses exigences
particulières »[6]. En
d’autres termes, ils doivent devenir chacun « alangwa Kristu »[7] dans un
monde qui a besoin de témoins.
[1] Institut Africain de Sciences
de la Mission, « les nouveaux appels
de la Mission, in Revue Africaine
des Sciences de la Mission, no 1, aout-décembre 1994, p. 3.
[2] OZANKOM Claude, Oscar Bimwenyi. Fin d’une Période de Discussion
sur la Possibilité d’une Théologie Africaine, in Théologie africaine au XXIe
siècle. Quelques figures ( BENEZET Bujo/MUYA Juvénal Ilunga), Vol. 1,
p.98-110, Fribourg Suisse, Editions Universitaires, 2002, p. 98-99.
[3] Bimwenyi Kweshi Oscar, « De
Jérusalem à Antioche – D’Antioche à Jérusalem » in Revue Africaine des
Sciences de la Mission, no 1, aout-décembre 1994, p. 212.
[4]
Ibidem, p. 210.
[5]
Ibidem, p. 214.
[6]
Ibidem, p. 207.
[7]
Ibidem, p. 213
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