Introduction
Dans
chaque Institution, nous trouvons une structure bien établie pour la bonne
marche et conduite de ses sujets. C’est dans ce sens que l’Eglise depuis ses
origines commença à s’organiser hiérarchiquement afin d’aboutir à sa fin ultime
qui est la glorification du Père et la sanctification de l’homme. La
hiérarchisation de l’Eglise fût évolutive dans la mesure où il n’y a pas au
départ des textes institutionnels qui établissaient des critères de choix pour
ses dirigeants. Ceux-ci étaient d’abord les Apôtres qui furent les témoins
authentiques de l’annonce de l’Evangile, puis leurs successeurs cités d’une
manière peu exhaustive : les évêques, les presbytres, et les diacres.
C’est dans cette mouvance que Saint Ignace d’Antioche établit le fondement de l’unité de l’Eglise
autour de l’évêque, de ses presbytres et de ses diacres qui sont les
représentants de Dieu sur terre. Cette conception d’Ignace nous permettra de
parcourir ses Lettres pour desceller
l’importance de l’évêque pour le fonctionnement de l’unité dans l’Eglise.
I/
BIO-BIBLIOGRAPHIE DE SAINT IGNACE[1]
Ignace,
second évêque d’Antioche après Saint Pierre, personnalité d’une valeur
incomparable, fût condamné à mort sous
le règne de Trajan (98-117) qui a commencé la persécution au début du 2°siècle.
Il persécutait les chrétiens pour le simple fait qu’ils portaient le nom de
chrétien (Propter Nomen). C’est sous Trajan qu’est apparu pour la première fois
un texte qui réglementa les persécutions par l’intervention d’un Gouverneur
Juriste du nom de Pline le Jeune qui a écrit à l’empereur de ne pas condamner
les chrétiens sans motifs. Ainsi Trajan répondit par un rescrit (115/117) en
soulignant ceci :
-
Il ne faut pas poursuivre d’office les
chrétiens.
-
Mais s’ils sont déferrés, il faut les
interroger.
-
S’ils persistent dans leur foi, il faut
les châtier ; par contre s’ils se rétractent, il faut les libérer.
C’est
ainsi que Trajan a réglementé la procédure criminelle contre les chrétiens.
Ignace fût conduit de la Syrie à Rome pour subir le martyr. En chemin vers son
calvaire il fût la première partie de sa
route à pied et s’arrêta en particulier à Philadelphie, à Smyrne et
Troas où il fût accueilli avec affection et respect. De Smyrne il écrit aux
Eglises d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles, qui lui avaient envoyé des messagers
pour le saluer. De Troas enfin il adressa des lettres aux Eglises de
Philadelphie et de Smyrne, ainsi qu’à Polycarpe, le jeune évêque de cette
ville ; il écrit aussi aux romains. Traversant la Macédoine, il passa par
mer en Italie. A Rome, il subit le martyr vers 107ou 110.
Ces
sept Lettres, écrites au cours d’un
voyage, sont cependant le document le plus riche et aussi le plus émouvant qui
nous soit resté de la période postapostolique. Rien de prémédité, aucun plan,
remerciements, encouragements, réprimandes, conseils, nouvelles personnelles,
s’y mêlent sans aucun ordre apparent. Mais en même temps que le témoignage
vibrant d’une foi sans faille et d’un Amour fervent pour Jésus Christ, nous y
trouvons aussi des renseignements sur la foi et sur la vie de l’Eglise, ses
développements et ses problèmes au début du 2°siècle ; où le christianisme
était considérée comme une religion illicite. C’est une période pendant
laquelle, naît de grands courants hérétiques qui se confrontaient à la doctrine
chrétienne. Ainsi deux problèmes se pointent devant les chrétiens : vivre
les persécutions et défendre la doctrine.
Les Eglises d’Asie sont tentées de
retourner au Judaïsme. Ignace leur rappelle la nouveauté du
christianisme qui s’incarne sans doute dans la loi, mais qui la dépasse.
C’est pour autant dire que la loi n’est plus le respect du sabbat, mais elle
est l’actualisation du « jour du
Seigneur Ressuscité » (magn.X-XI). Notre auteur choqué par ce qu’on
appelait le docétisme, cette tendance qui va sous - estimer, voire nier la
réalité de la chair du Christ, qui n’aurait souffert qu’en apparence. Ignace
réagit vivement contre cette erreur dangereuse qui mettait en péril la réalité
de l’incarnation de notre Salut ; et rend inutiles les souffrances du
martyr : « soyez donc sourds
quand on vous parle d’autre chose que de Jésus Christ, de la race de David,
Fils de Marie, qui est véritablement né, qui a mangé et qui a bu, qui a été
véritablement persécuté, sous Ponce Pilate, qui a été véritablement crucifié et
mort, au regard du ciel, de la terre et des enfers, qui est aussi véritablement
ressuscité d’entre les morts… »[2].
Ainsi Ignace professe le fondement de la foi chrétienne en Jésus Christ
vrai Dieu et vrai homme.
Egalement à Corinthe au temps de Saint
Paul et de Saint Clément de Rome, les Eglises d’Asie sont aussi menacées par
les querelles et les divisions. Ignace s’oppose catégoriquement à toute menace
de schisme. Il est le prédicateur de l’unité. Il précise ainsi que l’unité de
l’Eglise se fait autour de l’évêque, entouré de son presbytre et de ses
diacres. C’est dans ce sens que Ignace affirme : « de même que le Seigneur n’a rien fait, ni
par lui-même, ni par ses apôtres, sans son Père (cf. Jn5, 19-30), avec qui il
est un, ainsi vous non plus ne faites rien sans l’évêque et ses
presbytres »[3].
L’unité de la communauté autour de l’évêque est signifiée et réalisée dans
l’Eucharistie, chair véritable du Christ : « ayez donc soin de ne participer qu’à une seule chair de notre Seigneur
Jésus Christ, et un seul calice pour nous unir en son sang, un seul autel,
comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres, mes compagnons de
service : ainsi tout ce que vous ferez, vous le ferez selon Dieu ».[4]
De surcroit les Eglises locales unies
entre elles par le lien de la charité et de la communion ne sont qu’une seule
Eglise : « l’Eglise catholique ».
II/ Les différents
rôles de l’évêque
Les lettres de Saint Ignace reflètent
aussi un vivant tableau de la dignité hiérarchique et les prestiges qui
entourent un évêque au milieu de son troupeau. Pour qu’une communauté soit
appelée comme telle, il faut qu’elle ait comme dirigeant un évêque qui préside
en qualité de « Représentant de Dieu », entouré de ses prêtres et de
ses diacres.
II-1- L’évêque, Pasteur
plus que chef
L’évêque est, avant tout, le maître qui
doit répondre aux attentes des fidèles. Etre en communion avec lui, c’est se
préserver de l’erreur et de l’hérésie. Sa lettre aux Tralliens nous le montre
avec conviction : « je vous
exhorte donc, non pas moi, mais la charité de Jésus Christ, à n’user que de la
nourriture chrétienne, et à vous abstenir de toute plante étrangère qui est l’hérésie.
Ce sont des gens qui entremêlent Jésus Christ à leurs propres erreurs en
cherchant à se faire passer pour dignes de foi, comme ceux qui donnent un
poison mortel avec du vin mêlé de miel, et celui qui ne sait pas le prend avec
plaisir, mais dans ce plaisir néfaste, il absorbe la mort »[5].
Cette exhortation d’Ignace nous montre que le chrétien doit avoir une base de
spiritualité solide, une nourriture quotidienne qui lui permettra de résister
et de combattre contre les hérétiques qui incarnent la mauvaise doctrine et
conduisent alors à la mort. Ici Ignace emploie
le langage de son époque dans la mesure où il voit les hérétiques comme des
gens trompeurs.
Aussi l’évêque exhorte-t-il constamment
son troupeau à la paix et à l’unité qui ne se manifestent, qui ne
s’accomplissent que par la solidarité avec la hiérarchie. Saint Ignace nous le
confirme par cette affirmation : « il
convient de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque, ce que d’ailleurs
vous faites. Votre presbyterium est justement réputé digne de Dieu, est accordé
à l’évêque comme les codes de la cithare(…) que chacun de vous aussi, vous
devenez un chœur afin que dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de
Dieu dans l’unité, vous chantez d’une seule voix par Jésus Christ un hymne au
Père afin qu’il vous écoute et vous reconnaisse, par vos bonnes œuvres, comme
les membres de son Fils. Il est utile pour vous d’être dans une inséparable
unité, afin de participer toujours à Dieu »[6].
Avoir
le service de pasteur ne signifie pas en premier lieu pour l’évêque, avoir des
capacités et des talents humains. Mais il doit avoir la pleine conscience que
son autorité lui vient de Dieu, Saint Luc dans son évangile nous montre cette
mission que le Christ a donnée à ses disciples : « qui vous écoute M’écoute, qui vous rejette Me rejette, et qui Me
rejette, rejette Celui qui M’a envoyé »[7].
Ainsi la communauté doit regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même
(Eph.VI) dans la mesure où il est l’envoyé et le représentant de Dieu. De cette
manière l’évêque apparait comme le garant de la communauté, c’est lui qui doit
nourrir le peuple de la Parole de Vérité, de le protéger des malfaiteurs, des
« hommes à la ruse perverse » qui porte un enseignement trompeur de
la doctrine de Dieu.
N’y-a-t-il pas là un grand péril ? La
tentation d’orgueil et de domination n’est-elle pas à l’affut au détour du
chemin pour faire trébucher les pasteurs ? Et comment concilier tout cela
avec le réflexe démocratique sans cesse croissant à notre époque ?
Le pasteur ne peut pas ignorer tous les
versets bibliques à l’endroit des mauvais bergers qui se paissent
eux-mêmes ; comme à l’endroit des mercenaires qui n’aiment pas leurs
brebis. L’Ecriture doit donc le porter à prendre garde. En outre, la
communauté, elle aussi se chargera de lui rappeler son devoir de modestie et de
disponibilité.
Enfin il y a la souffrance (poids) liée à
toute charge de direction, à toute responsabilité qui doit nous orienter vers
l’humilité. C’est dans ce cadre que Saint Ignace tente d’orienter
Polycarpe : « que ceux qui paraissent
dignes de foi et qui enseignent l’erreur ne t’effraient pas. Tiens ferme comme
l’enclume sous le marteau. C’est de grand athlète de se laisser meurtrir de
coups, et de vaincre. C’est à cause de Dieu que nous devons tout supporter, afin
que lui-même nous supporte »[8].
Par ailleurs, en insistant sur l’humilité, Ignace adresse ces mots à
Polycarpe : « justifie ta
dignité épiscopale par une entière sollicitude de chaire et d’esprit ; préconise
toi de l’union, au dessus de laquelle il n’y a rien de meilleur. Porte avec
patience tous les frères comme le Seigneur te porte toi-même. Supporte les tous
avec charité(…) »[9].
Seul le regard de la foi, qu’il soit du
côté de l’évêque ou du côté de la communauté, surtout est capable de voir le
pasteur tel qu’il est : un homme de Dieu, quelques soient ses lacunes, ses
défauts, ses péchés, sa race, sa tribu, son âge. Ignace nous l’affirme par
cette exhortation adressée à la communauté de Smyrne qui est à la direction
d’un jeune évêque : « et
vous il convient de ne pas profiter de l’âge de votre évêque, mais par égard à
la puissance de Dieu le Père, lui accorder toute vénération ; je sais en
effet que vos saints presbytres n’ont pas abusé de la jeunesse qui paraît en lui,
mais comme des gens sensés en Dieu, ils se soumettent à lui, non pas lui mais
au Père de Jésus Christ, à l’évêque de tous… »[10].
II-2/
L’évêque comme grand – prêtre de la liturgie.
L’évêque est aussi, pour Ignace, le grand –
prêtre de la liturgie et dispensateur des mystères de Dieu. En dehors de lui,
on ne peut administrer aucun sacrement
surtout celui de l’Eucharistie : « il
n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de baptiser, ni de faire l’agapè,
mais tout ce qu’il approuve, cela est agréable à Dieu aussi. Ainsi tout ce qui
se fait sera sûr et légitime »[11].
Par la prédication, le pasteur apporte des paroles de vie aux hommes. Ainsi
une source se met à jaillir, qui devient courant généreux dans les sacrements.
Le pasteur en administrant le sacrement qui a pour source le Christ, sanctifie
l’homme et glorifie Dieu. C’est Lui qui baptise, qui donne à manger son corps,
qui accorde le pardon etc. L’évêque devient ainsi canal et instrument du Christ au milieu des
hommes. C’est pourquoi, selon Ignace, la
célébration des sacrements et l’organisation de toute activité concernant la
communauté ne peuvent être faites sans la présence ou l’accord de
l’évêque : « que personne ne
fasse en dehors de l’évêque rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette
Eucharistie soit seule regardée comme légitime qui se fait sous la présidence
de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé ».[12]
Autrement dit celui qui aura organisé un rassemblement sans l’autorisation de
l’évêque cherche à créer un schisme, une démarcation et donc il s’éloigne de
l’Eglise et de celui qui aura agi dans ce sens est considéré comme exclu et
donc indigne de participer au repas du Seigneur. Ignace nous l’affirme avec
clarté : « celui qui est à
l’intérieur du sanctuaire est pur, mais celui qui est en dehors du sanctuaire
n’est pas pur ; c’est-à-dire celui qui agit en dehors de l’évêque, du
presbyterium et des diacres, celui-là n’est pas pur de conscience »[13].
Le pasteur exerce ainsi le pouvoir de sanctifier dans la liturgie. En effet, « Tous les sacrements, dans lesquels le
pasteur exerce son pouvoir, tous les ministères ecclésiaux et les tâches
apostoliques sont tous liés et ordonnés à l’Eucharistie ».[14] Ainsi la liturgie est l’œuvre principale des
pasteurs et l’Eucharistie est l’œuvre par excellence. C’est dans l’Eucharistie
qu’Ignace reconnaît l’unité de l’Eglise. L’Eucharistie qui est source de
l’unité de l’Eglise s’effectue par une bonne organisation hiérarchique des
acteurs liturgiques, afin, qu’apparaisse aux yeux des non croyants, le
témoignage des enfants, des « porteurs » de Dieu. C’est dans
cette ordre d’idée que le Concile Vatican II a définit l’Eucharistie comme le
« Banquet de la communion fraternelle », quand il dit que les
chrétiens en se nourrissant du Corps du Christ dans la communion, ils
démontrent au monde, l’unité du peuple de Dieu. Dans la célébration de
l’Eucharistie il y a toujours un principe d’unité et de charité. Cette
célébration devient ainsi un moment particulier pour favoriser la communion
entre les fidèles. A ce moment là il n’y a plus de distance entre nous, il n’y
a plus ni rancune ni rivalité, nous expérimentons l’union du Christ avec son
Père. C’est avec la conception de l’Eucharistie comme sacrifice du Christ
qu’Ignace a orienté son martyr. L’évêque doit être capable et prêt à donner sa
vie pour son troupeau et par amour pour Christ.
En
définitive, nous avons parcouru les lettres de Saint Ignace d’Antioche par un
regard panoramique qui nous a permis de voir non seulement les figures de
l’évêque mais aussi de voir la lutte interminable de l’Eglise catholique contre
les séparations (schismes) et surtout contre les hérésies. Nous n’avons certes
pas souligné l’importance accordée à l’Eglise de Rome, mais nous reconnaissons
même jusqu’aujourd’hui que l’Eglise de Rome est le signe et le détenteur de
notre unité et de notre charité. L’évêque de Rome est, pour nous, la figure par
excellence qu’Ignace a essayée d’installer ou d’orienter à son époque. L’évêque
doit promouvoir l’unité, c’est pourquoi la lutte interminable de notre époque
est de chercher et d’établir non seulement l’unité des catholiques mais aussi
l’unité de tous les chrétiens. Cette démarche permet à l’Eglise catholique de
bien établir sa doctrine et de bien éclairer sa position par rapport aux autres
confessions religieuses. Sur ce, une question surgie : les schismes et les
hérésies ne sont-ils pas des pistes d’enrichissement pour la proclamation de
notre foi ? Autrement dit ne fallait-il pas des séparations et des
hérésies pour que l’Eglise puisse atteindre son apogée ?
Sources
Ignace
d’Antioche, lettres aux églises,
trad. P. Th.Camelot,
o.p, CERF, Paris, 1975,
113p.
J. Quasten, INITIATION
AUX PERES DE L’EGLISE, tome I, CERF, Paris 1955, 410p.
Card. Godfried Danneels, MESSAGERS DE LA JOIE, Bruges, Bruxelles, 48p
Gerard de Servingy, LA THEOLOGIE DE L’EUCHARISTIE DANS LE CONCILE VATICAN II, Pierre
TEQUI, Paris, 2000, 190p.
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