mercredi 6 mars 2013

St Ignace d'Antioche


Introduction
Dans chaque Institution, nous trouvons une structure bien établie pour la bonne marche et conduite de ses sujets. C’est dans ce sens que l’Eglise depuis ses origines commença à s’organiser hiérarchiquement afin d’aboutir à sa fin ultime qui est la glorification du Père et la sanctification de l’homme. La hiérarchisation de l’Eglise fût évolutive dans la mesure où il n’y a pas au départ des textes institutionnels qui établissaient des critères de choix pour ses dirigeants. Ceux-ci étaient d’abord les Apôtres qui furent les témoins authentiques de l’annonce de l’Evangile, puis leurs successeurs cités d’une manière peu exhaustive : les évêques, les presbytres, et les diacres. C’est dans cette mouvance que Saint Ignace d’Antioche  établit le fondement de l’unité de l’Eglise autour de l’évêque, de ses presbytres et de ses diacres qui sont les représentants de Dieu sur terre. Cette conception d’Ignace nous permettra de parcourir ses Lettres pour desceller l’importance de l’évêque pour le fonctionnement de l’unité dans l’Eglise.           
     I/ BIO-BIBLIOGRAPHIE DE SAINT IGNACE[1]
Ignace, second évêque d’Antioche après Saint Pierre, personnalité d’une valeur incomparable, fût condamné  à mort sous le règne de Trajan (98-117) qui a commencé la persécution au début du 2°siècle. Il persécutait les chrétiens pour le simple fait qu’ils portaient le nom de chrétien (Propter Nomen). C’est sous Trajan qu’est apparu pour la première fois un texte qui réglementa les persécutions par l’intervention d’un Gouverneur Juriste du nom de Pline le Jeune qui a écrit à l’empereur de ne pas condamner les chrétiens sans motifs. Ainsi Trajan répondit par un rescrit (115/117) en soulignant ceci :
-          Il ne faut pas poursuivre d’office les chrétiens.
-          Mais s’ils sont déferrés, il faut les interroger.
-          S’ils persistent dans leur foi, il faut les châtier ; par contre s’ils se rétractent, il faut les libérer.
C’est ainsi que Trajan a réglementé la procédure criminelle contre les chrétiens. Ignace fût conduit de la Syrie à Rome pour subir le martyr. En chemin vers son calvaire il fût la première partie de sa  route à pied et s’arrêta en particulier à Philadelphie, à Smyrne et Troas où il fût accueilli avec affection et respect. De Smyrne il écrit aux Eglises d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles, qui lui avaient envoyé des messagers pour le saluer. De Troas enfin il adressa des lettres aux Eglises de Philadelphie et de Smyrne, ainsi qu’à Polycarpe, le jeune évêque de cette ville ; il écrit aussi aux romains. Traversant la Macédoine, il passa par mer en Italie. A Rome, il subit le martyr vers 107ou 110.
Ces sept Lettres, écrites au cours d’un voyage, sont cependant le document le plus riche et aussi le plus émouvant qui nous soit resté de la période postapostolique. Rien de prémédité, aucun plan, remerciements, encouragements, réprimandes, conseils, nouvelles personnelles, s’y mêlent sans aucun ordre apparent. Mais en même temps que le témoignage vibrant d’une foi sans faille et d’un Amour fervent pour Jésus Christ, nous y trouvons aussi des renseignements sur la foi et sur la vie de l’Eglise, ses développements et ses problèmes au début du 2°siècle ; où le christianisme était considérée comme une religion illicite. C’est une période pendant laquelle, naît de grands courants hérétiques qui se confrontaient à la doctrine chrétienne. Ainsi deux problèmes se pointent devant les chrétiens : vivre les persécutions et défendre la doctrine.
Les Eglises d’Asie sont tentées de retourner au Judaïsme. Ignace leur rappelle la nouveauté du christianisme qui s’incarne sans doute dans la loi, mais qui la dépasse. C’est pour autant dire que la loi n’est plus le respect du sabbat, mais elle est l’actualisation du « jour du Seigneur Ressuscité » (magn.X-XI). Notre auteur choqué par ce qu’on appelait le docétisme, cette tendance qui va sous - estimer, voire nier la réalité de la chair du Christ, qui n’aurait souffert qu’en apparence. Ignace réagit vivement contre cette erreur dangereuse qui mettait en péril la réalité de l’incarnation de notre Salut ; et rend inutiles les souffrances du martyr : « soyez donc sourds quand on vous parle d’autre chose que de Jésus Christ, de la race de David, Fils de Marie, qui est véritablement né, qui a mangé et qui a bu, qui a été véritablement persécuté, sous Ponce Pilate, qui a été véritablement crucifié et mort, au regard du ciel, de la terre et des enfers, qui est aussi véritablement ressuscité d’entre les morts… »[2]. Ainsi Ignace professe le fondement de la foi chrétienne en Jésus Christ vrai Dieu et vrai homme.
Egalement à Corinthe au temps de Saint Paul et de Saint Clément de Rome, les Eglises d’Asie sont aussi menacées par les querelles et les divisions. Ignace s’oppose catégoriquement à toute menace de schisme. Il est le prédicateur de l’unité. Il précise ainsi que l’unité de l’Eglise se fait autour de l’évêque, entouré de son presbytre et de ses diacres. C’est dans ce sens que Ignace affirme : « de même que le Seigneur n’a rien fait, ni par lui-même, ni par ses apôtres, sans son Père (cf. Jn5, 19-30), avec qui il est un, ainsi vous non plus ne faites rien sans l’évêque et ses presbytres »[3]. L’unité de la communauté autour de l’évêque est signifiée et réalisée dans l’Eucharistie, chair véritable du Christ : « ayez donc soin de ne participer qu’à une seule chair de notre Seigneur Jésus Christ, et un seul calice pour nous unir en son sang, un seul autel, comme un seul évêque avec le presbyterium et les diacres, mes compagnons de service : ainsi tout ce que vous ferez, vous le ferez selon Dieu ».[4]
De surcroit les Eglises locales unies entre elles par le lien de la charité et de la communion ne sont qu’une seule Eglise : « l’Eglise catholique ».
II/ Les différents rôles de l’évêque
Les lettres de Saint Ignace reflètent aussi un vivant tableau de la dignité hiérarchique et les prestiges qui entourent un évêque au milieu de son troupeau. Pour qu’une communauté soit appelée comme telle, il faut qu’elle ait comme dirigeant un évêque qui préside en qualité de « Représentant de Dieu », entouré de ses prêtres et de ses diacres.
II-1- L’évêque, Pasteur plus que chef
    L’évêque est, avant tout, le maître qui doit répondre aux attentes des fidèles. Etre en communion avec lui, c’est se préserver de l’erreur et de l’hérésie. Sa lettre aux Tralliens nous le montre avec conviction : « je vous exhorte donc, non pas moi, mais la charité de Jésus Christ, à n’user que de la nourriture chrétienne, et à vous abstenir de toute plante étrangère qui est l’hérésie. Ce sont des gens qui entremêlent Jésus Christ à leurs propres erreurs en cherchant à se faire passer pour dignes de foi, comme ceux qui donnent un poison mortel avec du vin mêlé de miel, et celui qui ne sait pas le prend avec plaisir, mais dans ce plaisir néfaste, il absorbe la mort »[5]. Cette exhortation d’Ignace nous montre que le chrétien doit avoir une base de spiritualité solide, une nourriture quotidienne qui lui permettra de résister et de combattre contre les hérétiques qui incarnent la mauvaise doctrine et conduisent alors à la mort. Ici  Ignace emploie le langage de son époque dans la mesure où il voit les hérétiques comme des gens trompeurs.
Aussi l’évêque exhorte-t-il constamment son troupeau à la paix et à l’unité qui ne se manifestent, qui ne s’accomplissent que par la solidarité avec la hiérarchie. Saint Ignace nous le confirme par cette affirmation : « il convient de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque, ce que d’ailleurs vous faites. Votre presbyterium est justement réputé digne de Dieu, est accordé à l’évêque comme les codes de la cithare(…) que chacun de vous aussi, vous devenez un chœur afin que dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantez d’une seule voix par Jésus Christ un hymne au Père afin qu’il vous écoute et vous reconnaisse, par vos bonnes œuvres, comme les membres de son Fils. Il est utile pour vous d’être dans une inséparable unité, afin de participer toujours à Dieu »[6].
       Avoir le service de pasteur ne signifie pas en premier lieu pour l’évêque, avoir des capacités et des talents humains. Mais il doit avoir la pleine conscience que son autorité lui vient de Dieu, Saint Luc dans son évangile nous montre cette mission que le Christ a donnée à ses disciples : « qui vous écoute M’écoute, qui vous rejette Me rejette, et qui Me rejette, rejette Celui qui M’a envoyé »[7]. Ainsi la communauté doit regarder l’évêque comme le Seigneur lui-même (Eph.VI) dans la mesure où il est l’envoyé et le représentant de Dieu. De cette manière l’évêque apparait comme le garant de la communauté, c’est lui qui doit nourrir le peuple de la Parole de Vérité, de le protéger des malfaiteurs, des « hommes à la ruse perverse » qui porte un enseignement trompeur de la doctrine de Dieu.
N’y-a-t-il pas là un grand péril ? La tentation d’orgueil et de domination n’est-elle pas à l’affut au détour du chemin pour faire trébucher les pasteurs ? Et comment concilier tout cela avec le réflexe démocratique sans cesse croissant à notre époque ?
    Le pasteur ne peut pas ignorer tous les versets bibliques à l’endroit des mauvais bergers qui se paissent eux-mêmes ; comme à l’endroit des mercenaires qui n’aiment pas leurs brebis. L’Ecriture doit donc le porter à prendre garde. En outre, la communauté, elle aussi se chargera de lui rappeler son devoir de modestie et de disponibilité.
   Enfin il y a la souffrance (poids) liée à toute charge de direction, à toute responsabilité qui doit nous orienter vers l’humilité. C’est dans ce cadre que Saint Ignace tente d’orienter Polycarpe : « que ceux qui paraissent dignes de foi et qui enseignent l’erreur ne t’effraient pas. Tiens ferme comme l’enclume sous le marteau. C’est de grand athlète de se laisser meurtrir de coups, et de vaincre. C’est à cause de Dieu que nous devons tout supporter, afin que lui-même nous supporte »[8]. Par ailleurs, en insistant sur l’humilité, Ignace adresse ces mots à Polycarpe : « justifie ta dignité épiscopale par une entière sollicitude de chaire et d’esprit ; préconise toi de l’union, au dessus de laquelle il n’y a rien de meilleur. Porte avec patience tous les frères comme le Seigneur te porte toi-même. Supporte les tous avec charité(…) »[9].
Seul le regard de la foi, qu’il soit du côté de l’évêque ou du côté de la communauté, surtout est capable de voir le pasteur tel qu’il est : un homme de Dieu, quelques soient ses lacunes, ses défauts, ses péchés, sa race, sa tribu, son âge. Ignace nous l’affirme par cette exhortation adressée à la communauté de Smyrne qui est à la direction d’un jeune évêque : « et vous il convient de ne pas profiter de l’âge de votre évêque, mais par égard à la puissance de Dieu le Père, lui accorder toute vénération ; je sais en effet que vos saints presbytres n’ont pas abusé de la jeunesse qui paraît en lui, mais comme des gens sensés en Dieu, ils se soumettent à lui, non pas lui mais au Père de Jésus Christ, à l’évêque de tous… »[10].
 II-2/ L’évêque comme grand – prêtre de la liturgie.
       L’évêque est aussi, pour Ignace, le grand – prêtre de la liturgie et dispensateur des mystères de Dieu. En dehors de lui, on  ne peut administrer aucun sacrement surtout celui de l’Eucharistie : « il n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de baptiser, ni de faire l’agapè, mais tout ce qu’il approuve, cela est agréable à Dieu aussi. Ainsi tout ce qui se fait sera sûr et légitime »[11]. Par la prédication, le pasteur apporte des paroles de vie aux hommes. Ainsi une source se met à jaillir, qui devient courant généreux dans les sacrements. Le pasteur en administrant le sacrement qui a pour source le Christ, sanctifie l’homme et glorifie Dieu. C’est Lui qui baptise, qui donne à manger son corps, qui accorde le pardon etc. L’évêque devient ainsi  canal et instrument du Christ au milieu des hommes. C’est pourquoi,  selon Ignace, la célébration des sacrements et l’organisation de toute activité concernant la communauté ne peuvent être faites sans la présence ou l’accord de l’évêque : « que personne ne fasse en dehors de l’évêque rien de ce qui regarde l’Eglise. Que cette Eucharistie soit seule regardée comme légitime qui se fait sous la présidence de l’évêque ou de celui qu’il en aura chargé ».[12] Autrement dit celui qui aura organisé un rassemblement sans l’autorisation de l’évêque cherche à créer un schisme, une démarcation et donc il s’éloigne de l’Eglise et de celui qui aura agi dans ce sens est considéré comme exclu et donc indigne de participer au repas du Seigneur. Ignace nous l’affirme avec clarté : « celui qui est à l’intérieur du sanctuaire est pur, mais celui qui est en dehors du sanctuaire n’est pas pur ; c’est-à-dire celui qui agit en dehors de l’évêque, du presbyterium et des diacres, celui-là n’est pas pur de conscience »[13]. Le pasteur exerce ainsi le pouvoir de sanctifier dans la liturgie. En effet, « Tous les sacrements, dans lesquels le pasteur exerce son pouvoir, tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques sont tous liés et ordonnés à l’Eucharistie ».[14]  Ainsi la liturgie est l’œuvre principale des pasteurs et l’Eucharistie est l’œuvre par excellence. C’est dans l’Eucharistie qu’Ignace reconnaît l’unité de l’Eglise. L’Eucharistie qui est source de l’unité de l’Eglise s’effectue par une bonne organisation hiérarchique des acteurs liturgiques, afin, qu’apparaisse aux yeux des non croyants, le témoignage des enfants, des «  porteurs » de Dieu. C’est dans cette ordre d’idée que le Concile Vatican II a définit l’Eucharistie comme le « Banquet de la communion fraternelle », quand il dit que les chrétiens en se nourrissant du Corps du Christ dans la communion, ils démontrent au monde, l’unité du peuple de Dieu. Dans la célébration de l’Eucharistie il y a toujours un principe d’unité et de charité. Cette célébration devient ainsi un moment particulier pour favoriser la communion entre les fidèles. A ce moment là il n’y a plus de distance entre nous, il n’y a plus ni rancune ni rivalité, nous expérimentons l’union du Christ avec son Père.  C’est avec la conception de  l’Eucharistie comme sacrifice du Christ qu’Ignace a orienté son martyr. L’évêque doit être capable et prêt à donner sa vie pour son troupeau et par amour pour Christ.




En définitive, nous avons parcouru les lettres de Saint Ignace d’Antioche par un regard panoramique qui nous a permis de voir non seulement les figures de l’évêque mais aussi de voir la lutte interminable de l’Eglise catholique contre les séparations (schismes) et surtout contre les hérésies. Nous n’avons certes pas souligné l’importance accordée à l’Eglise de Rome, mais nous reconnaissons même jusqu’aujourd’hui que l’Eglise de Rome est le signe et le détenteur de notre unité et de notre charité. L’évêque de Rome est, pour nous, la figure par excellence qu’Ignace a essayée d’installer ou d’orienter à son époque. L’évêque doit promouvoir l’unité, c’est pourquoi la lutte interminable de notre époque est de chercher et d’établir non seulement l’unité des catholiques mais aussi l’unité de tous les chrétiens. Cette démarche permet à l’Eglise catholique de bien établir sa doctrine et de bien éclairer sa position par rapport aux autres confessions religieuses. Sur ce, une question surgie : les schismes et les hérésies ne sont-ils pas des pistes d’enrichissement pour la proclamation de notre foi ? Autrement dit ne fallait-il pas des séparations et des hérésies pour que l’Eglise puisse atteindre son apogée ?    














                                                                  
                                                      Sources
 Ignace d’Antioche, lettres aux églises, trad. P. Th.Camelot, o.p, CERF, Paris, 1975, 113p.
J. Quasten, INITIATION AUX PERES DE L’EGLISE, tome I, CERF, Paris 1955, 410p.
Card. Godfried Danneels, MESSAGERS DE LA JOIE, Bruges, Bruxelles, 48p
Gerard de Servingy, LA THEOLOGIE DE L’EUCHARISTIE DANS LE CONCILE VATICAN II, Pierre TEQUI, Paris, 2000, 190p.


[1] Cf. les Lettres aux Eglises, Ignace d’Antioche
[2] Trall. IX
[3]  Magn.VII
[4]  Phila.IV
[5]  Trall.VI, 1-2.
[6]  Eph.IV
[7]  Cf. Luc 10,16
[8]  Poly. III, 1-2.
[9]  Idem. I, 2.
[10] Magn. III, 1.
[11]  Smyr. VIII, 2
[12] Ibidem
[13] Trall.VII, 2.
[14] Presbyterorum Ordinis n°5 

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