HOMMAGE
A SAINT JEAN-PAUL II,
UN DES PLUS GRANDS MISSIONNAIRES DE L’HISTOIRE
Dans un mois, l’Eglise catholique célébrera la sainteté de
Jean-Paul II, après un procès de canonisation éclair, indice d’une sainteté
sans ombre. C’est le pape que nous connaissons bien, doté d’une forte
personnalité, polyédrique, qu’à son élection on percevait comme quelqu’un
venant de loin. Alors que, après avoir prononcé des phrases mémorables, comme :
« N’ayez pas peur… ouvrez les portes
au Christ », il est vite devenu patrimoine de l’humanité.
Sans doute, il est permis de miser qu’une telle célébration
retentira, surtout auprès des admirateurs de la mission, comme un rendez-vous
unique pour saluer en lui un type de sainteté de véritable sens missionnaire.
Celle qui est en osmose avec la mission: qui se mêle et qui grandit avec-dans-pour
la mission à accomplir.
Je suppose, qu’à l’occasion de sa canonisation, on
continuera encore plus à écrire sur lui pour le faire connaître davantage et
mieux à notre monde qui souvent se trace
des parcours de vie qui portent loin de l’Evangile et de tout simple humanisme.
Certainement, parmi ceux qui ont aimé ce pontife, exceptionnel à plusieurs points de vue, il y
en aura de ceux qui écriront sur lui pour mettre en évidence une infinité de
mérites, théologiques et interdisciplinaires,
qu’il a su collectionner tout au long de son long pontificat. Mérites en
christologie, en mariologie, en philosophie, en anthropologie, en sociologie,
en science et art des communications, ainsi de suite[1].
Pour ma part, je voudrais rendre hommage à ce pape
« magnifique » en simple missionnaire. Comme quelqu’un qui a pu tirer
inspiration de sa vaste pensée et de son témoignage de sainteté, au milieu des
vicissitudes de la mission de l’après Vatican II. Une saison de reprise pour la
mission, laborieuse, entre hésitations pénibles et nouveaux élans.
C’est vrai que je me mets à écrire cet hommage à la veille
de sa canonisation, mais la pensée de le féliciter d’une façon quelconque me
poursuit depuis longtemps. Or que, cette pensée est devenue un désir, surtout en
étant présent, place saint Pierre, à sa béatification. Et, puis, un devoir car
il est le pape du temps de mon sacerdoce et de ma mission à son début et en sa
consolidation. De plus, j’ai eu l’honneur de le côtoyer suivant les chances de
la vie : j’ai servi en diacre à sa messe d’intronisation, en 1978, portant son pallium ; et, puis, j’ai pu lui
manifester mon total dévouement lors d’un « baciamano
» où je remettait dans ses mains ma vie de missionnaire. C’était juste à
l’occasion de mon 25ème de sacerdoce, en 2003, au moment ou j’avais
quitté le Sénégal pour me préparer à la nouvelle affectation en R. D. Congo.
Cependant, à être sincère, la motivation plus profonde du présent
hommage réside dans l’immense gratitude que je nourris pour lui à cause d’un livre
qui m’a été publié l’an dernier, à Kinshasa. En effet, sans ce pape, ce livre,
centré comme il est sur la communion missionnaire et la nouvelle évangélisation,
ne serait jamais sorti. Puisque, finalement, c’est Jean-Paul II, qui, le
premier, a pris à son compte ces deux sujets dans son magistère, me permettant
ainsi d’en analyser le lien qui existe entre eux et de les rattacher à la présence
du Christ dans son Eglise, parmi nous[2].
Pourtant et dans les limites d’un hommage, je vais essayer
d’écrire sur l’impulsion déterminante qu’il a donné à la mission de l’Eglise du
temps de sa papauté. Un temps que je serais tenté de voir, malgré tout, comme
l’époque de la grandeur de la mission ; l’époque où, du moins, la grandeur
de la mission s’est rendue plus perceptible, grâce à lui, au Concile Vatican II
tout d’abord, et aux papes de l’après Concile dont Jean XXIII qui participe lui
aussi aux honneurs des autels en compagnie de Jean-Paul II. C’est pourquoi, cet
hommage je l’offre finalement à eux tous, notamment à Jean XXIII qui est à
l’origine de la révolution missionnaire apportée par Vatican II.
JEAN-PAUL II, LE
GRAND MISSIONNAIRE
En effet, saint Jean-Paul II est un pape extraordinairement
épris pour la mission à telle enseigne qu’on lui discernerait de tout cœur le
titre de « Saint Jean-Paul le Grand », en sous-entendant aussi « le
grand missionnaire ».
Il l’est avant tout par sa spéciale sensibilité pastorale qui,
se renforçant à la lumière du « Christ rédempteur » et dans une
relation d’appartenance totale à Marie (Totus
tuus), l’a porté à faire de tout
événement ecclésial des occasions d’évangélisation au dedans et en dehors de
l’Eglise. On peut dire que, sous sa papauté, toutes ses activités - voyages, réceptions,
synodes, journées mondiales des jeunes et non, congrès, documents et publications, et-cetera-et-cetera
-, se sont transformées presque toujours,
en des moyens de promotion de l’esprit missionnaire de l’Eglise ; d’une
Eglise qui, suite au Concile Vatican II,
voulait et devait se montrer, conséquemment et concrètement, toute
entière missionnaire, dans toutes ses composantes, toujours et partout.
C’est donc par sa façon d’accomplir son mandat de vicaire
du Christ, sur les voies de la mission tracées par Vatican II, qu’il deviendra
un pape extraordinairement missionnaire. Car c’est par là, par sa façon, exceptionnellement
tenace et vivace, d’être et de faire de pape, qu’il parviendra à transformer le
visage de la mission de l’Eglise de son et de notre temps. Se servant,
justement, de ses charges pontificales : les voyages, l’indiction et
participation aux synodes continentaux, les multiples gestes prophétiques et,
spécialement, la missiologie qu’il confie à ses documents dont le nombre nous
semble dépasser les interventions magistériels de tout autre pontife.
Les voyages
Tout le monde sait que jamais un pape à visité notre
planète comme Jean-Paul II. En se rendant dans plus de 102 pays du globe pour
environ un million deux mille kilomètres, il aurait parcouru, selon les calculs
de ces proches collaborateurs, quelque chose comme trois fois la distance qu’il
y a entre la terre et la lune et 28 fois la circonférence de la terre[3]. Ce qui
lui a permis de connaître l’humanité dans sa plus vaste extension culturelle et
religieuse; de toucher directement aux situations sociales et politiques des
nations ; de rencontrer les hommes et les femmes du monde entier en se
mêlant aux problématiques humaines propres à leurs contextes de vie.
Par ailleurs, les reportages sur ses voyages nous font connaître
le programme de ses visites. Elles sont en bonne partie remplies de rendez-vous
en vue de se faire présent à toutes les catégories de personnes
possibles : des chefs religieux aux minorités marginalisées ; des
élites intellectuelles aux ouvriers débauchés ; des enfants aux jeunes,
des personnes consacrées à celles athées.
Et cela, dans un but explicitement et authentiquement
missionnaire, en imitant Pierre « qui
rendait visite à tous » (Ac 9, 32). C’était immanquablement pour la
même finalité : annoncer l’Evangile, confirmer ses frères dans la foi,
consoler l’Eglise et rencontrer l’homme[4]. Cet
homme qu’il a indiqué comme la route qui nous mène à Dieu, et même, « la première route que l’Eglise doit suivre
pour l’accomplissement de sa mission » (Christifideles laici, 36).
Les Synodes
continentaux
De même, les célébrations des synodes continentaux (une
autre nouveauté emblématique inaugurée par lui), ont été, sous son pontificat, des
occasions pour insuffler, jusqu’aux racines culturelles des cinq continents, l’esprit,
absolument missionnaire, de Vatican II. Chapotés par Jean-Paul II, ces synodes
ont été hautement providentiels du fait qu’ils ont entamé toute une série de
démarches pour photographier leurs situations missionnaires en vue d’en saisir
les défis majeurs propres à leur contexte. Le tout, pour aider à ce que ces
défis soient relevés et deviennent les soucis de l’Eglise toute entière.
Par ailleurs, c’est grâce à ces synodes, véritables sources
de missiographie, que tout le monde aurait pu connaître le spécifique missionnaire
de chaque continent. L’Afrique avec son défi d’inculturation à relever par une
Eglise qui se reconnaît famille de Dieu[5] ; l’Amérique
Latine avec les défis des ses problématiques sociales (dues au clivage
croissant et scandaleux entre nantis et démunis), prenant l’option
préférentielle envers les pauvres et misant sur la pastorale des communautés de
base [6]; l’Asie
avec son défi de dialogue avec les religions (presque toutes présentes dans ce
continent avant même le christianisme) dans un cadre culturel qui aspire à
l’harmonie des altérités[7];
l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie… défiées par une société sécularisée
(où de grands pans de population deviennent de plus en plus indifférents au
religieux), et invoquant un retour au sources évangéliques d’amour et d’unité [8]; l’Océanie, enfin, avec son défi d’unité, de communication et de
coordination des efforts missionnaires au milieu d’immenses distances d’aux de
mer[9].
Or que, ces travaux synodaux, se révélèrent aussi comme l’instance
providentielle pour relancer l’appel à l’unité des chrétiens et pourvoir à une
nouvelle organisation de l’évangélisation dans tous les continents.
En clair, il s’agissait pour tous les cinq continents
d’entamer une nouvelle phase de la mission. A accomplir, cette fois-ci, en
esprit de service et dans un témoignage de sainteté et de communion. Une phase
qui, par ailleurs a servi, aussi bien à relancer les efforts pour parfaire la
mission ad gentes qu’à se disposer à relever
la tâche de nouvelle évangélisation qui désormais devenait de plus en plus
généralisée et pressante pour tous les continents[10].
Les gestes
prophétiques
Dans cette transformation du visage de la mission allaient jouer
un rôle inestimable les multiples gestes prophétiques, inédites, fruit de
l’invention de sain Jean-Paul II. Ceux-ci, étant aussi bien des signes de son
charisme de créativité qu’expression de son attachement dévoué, ainsi que de sa
volonté de faire progresser la mission, selon le dessein de Dieu et les besoins
de salut du monde.
Des tous ces gestes, faisons mention seulement du geste d’Assise,
du prophétisme missionnaire inhérent à cette « Rencontre interreligieuse de
Prière pour la Paix », par lui organisée et animée, en 1986.
Est-ce qu’en promouvant cette rencontre, Jean-Paul II
gardait dans sa mémoire ce que le Concile avait professé par cette phrase:
« nous devons tenir que
l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être
associé au mystère pascal » (Gaudium
et spes, 22) ? Bien sûr, car il la reprendra en Redemptoris missio ( 6). Est-ce qu’il savait de choquer pas mal de
gens d’église qui restaient solidement attachés aux voies traditionnelles du
salut ? Est-ce qu’il prévoyait les conséquences de cet acte ?
Toujours est-il que, depuis cette initiative vraiment
prophétique, fleur à la boutonnière des son pontificat, tout à changé, ou du
moins tout pouvait changer, au niveau du pluralisme culturel et religieux. Et
cela, dans la mesure où cet acte prophétique aurait instauré dans l’Eglise le
style du dialogue comme attitude de vie ordinaire. Un style de vie qui,
comportant respect, amour accueillant, partage et solidarité envers
« l’autre » (prochain), est capable de renouveler, selon l’esprit de
l’Evangile, les relations de l’Eglise ad
intra et celles ad extra,
l’œcuménisme et les rapports interreligieux[11]. Ce qui
semblait jeter - dans un monde de plus en plus globalisé, pluriel et en
mouvement de rencontre entre peuples et cultures -, la semence de solution aux conflits
dus au manque de bienveillante acceptation des légitimes diversités de tout
genre.
Ainsi, Jean-Paul II offrait à la communauté chrétienne et
aux hommes de bonne volonté de quoi porter de l’avant la « mission intime » de l’Eglise, redécouverte
par Vatican II et consistant dans la fraternité universelle (cf. Gaudium et spes 38.42.92). De lors, les
bases étaient solidement posées pour ce qu’il appelle « la globalisation « de la » et
« dans la » solidarité » ; à voire comme une
aspiration possible marquant le progrès de la « civilisation de l’amour », chérie par Paul VI, et étant sûr
gage de véritable paix, dans la justice, pour l’avenir de l’humanité[12].
En fait, de tout cela, c’est le dialogue qui ressortira
dans toute sa valeur de modalité de rencontre entre les hommes et les groupes
humaines de toute extraction. Le dialogue devenait, ainsi, moyen
d’évangélisation. Il devenait la bonne route à suivre, un témoignage de grande
efficacité pour la mission parce que porteur des valeurs fondamentales de
l’Evangile d’amour et de communion. En vérité, le vrai dialogue est tel s’il
est une expression et un signe d’amour. C’est seulement ainsi qu’il peut
devenir ferment de nouvelles relations entre personnes et groupes.
En cela, il n’y a avait rien de replie ou de stratégique.
C’était plutôt remonter aux sources - chose habituel chez ce pontife, du ressort de
sa forma mentis. Et, dans notre cas, il
s’agissait de remonter à la source du dialogue qu’est la communion de Dieu, Un
et Trine. Car, comme Jean-Paul II lui-même le disait au Sénégal « Notre Dieu est un Dieu de la paix… Il est un Dieu de dialogue,
qui, depuis les origines, s’est engagé dans un dialogue de salut avec
l’humanité qu’Il a créée, un dialogue qui continue aujourd’hui et qui se
poursuivra jusqu’à la fin des temps »[13].
Donc, voyages, synodes, gestes prophétiques qui, dans leur
déploiement, ont donné à ce pape l’occasion de mieux fixer certains points de
la grammaire de la mission: en revenant sur
ses sources trinitaires; en la recentrant sur le Christ ; en la libérant à
la force protagoniste et entraînante de l’Esprit Saint. Bref, d’en faire un fait ecclésial de première
importance dans l’orbite du Royaume de Dieu.
D’ailleurs, c’est au milieu de tout cet envol missionnaire dont
il est protagoniste, qui se réalise le progrès de la pratique, au sein de
l’Eglise, d’un nouveau type de coopération missionnaire. Celle-ci, peu à peu,
cessera d’être liée exclusivement aux centres romains pour devenir davantage le fruit de la réciprocité entre les
Eglises sœurs du monde entier[14].
La missiologie
Tout de même, Jean-Paul II s’impose mieux encore comme
pontife extraordinairement missionnaire pour ce qu’il a écrit sur la mission, confirmant
et portant a son accomplissement par là son attachement à la cause
missionnaire.
Effectivement, ce saint pontife, en plus d’avoir vécu son
pontificat selon une forte orientation missionnaire apte à promouvoir dans le
même sens l’esprit et l’engagement de toute l’Eglise, il a réfléchit
abondamment et profondément sur la mission. Et cela, dans le cadre d’une
théologie qu’il propose avec les contours d’une science vitale. Il donnait de
l’essor ainsi à un filon de théologie qui se veut proche à celle de premiers siècles
de l’Eglise et sensible aux « signes des temps ». Il s’agit d’une théologie
qui prend l’élan à partir des réalités de la vie courante des chrétiens. Et
qui, par après, sait redescendre sur leur vécu, en leur apportant les bienfaits
de sa réflexion. Le tout, en vue de leur croissance spirituelle et d’une plus
grande fidélité à Dieu et à ses projets d’amour sur l’Eglise et le monde.
Pourtant sa réflexion missiologique - qui bénéficie de
cette approche théologique capable de combiner la foi-dogme avec l’expérience
de vie personnelle et ecclésiale des disciples du Christ -, nous lègue une
vision de la mission parmi les plus claires ; libre de toute
équivoque ; attrayante et facile à être endossée par tout chrétien.
Il suffit de lire Redemptoris
missio pour s’en rendre compte. Cette encyclique qui, soit dit en passant, est
à prendre comme le document qui contient, comme en un sommet, la synthèse plus
organique de la théologie de la mission de Jean-Paul II[15]. Synthèse
qui évidemment se reflète pour l’essentiel sur les autres documents de nature
missionnaire de son magistère. Bien
que, dans ces derniers, la même théologie soie articulée différemment en vue de
mieux l’adapter soit au bénéfice de chaque branche ecclésiale (Christifideles laici pour les
laïcs, Vita consecrata pour les personnes consacrées, Pastores
dabo vobis pour les prêtres…), soit au bénéfice des cinq continents (comme
c’est le ca pour Ecclesia in Africa et
pour les autres exhortations apostoliques relatives aux continents).
Or, dans Redemptoris
missio, la perception de la mission est d’un caractère vraiment vital. En
effet, se tenant dans un cadre dynamique qui recherche le renouvellement de la
foi et de la vie chrétienne, cette encyclique dit que : « la mission renouvelle l’Eglise, renforce la
foi et l’identité chrétienne, donne un regain d’enthousiasme et des motivations
nouvelles » (2).
On le voit, ce texte représente un éloge superlatif de la
mission qui de surcroît est plein d’implications sur lesquelles il est bien de
nous attarder autant si peu.
Oui parce que, suite à cet éloge de la mission, si limpide
et prometteur, on peut dire que : si dans la foi en Christ tout est grâce,
la mission aussi est grâce pour l’Eglise et le chrétien et pour tous finalement
(cf. Rm 1, 5), comme cela sera signifié plus explicitement par Benoît XVI[16].
Cependant d’après le passage cité, la mission est là pour transmettre une grâce
spécifique, de renouvellement et de solidification de l’esprit chrétien et de
la vie en Eglise et donc elle ne peut d’aucune façon être négligée.
Mais on peut dire aussi que, par ce texte,
Jean-Paul II porte les esprits à
dépasser toute résistance pour qu’ils puissent s’ouvrir sereinement à la
mission. Leur évitant ainsi le risque d’apercevoir la mission comme quelque
chose d’étranger, dérangeant leur chemin spirituel, ou, pire encore dépassée et
inutile pour la vie chrétienne personnel et ecclésiale, comme beaucoup de ses
contemporains tendaient à le croire. Par contre, cette affirmation, à elle
seule, est capable de confirmer le peuple de Dieu dans l’engagement
missionnaire. Et, mieux encore, par elle, le pape transmet à chaque chrétien un
grand enthousiasme pour la mission, plein de motivations, pour y participer joyeusement.
Par ailleurs, la beauté intrinsèque de ce texte nous pousse
à en ajouter.
En fait, cette sorte de déclaration d’intention est censée marquer
une époque de vraie renaissance pour la mission dans la mesure où ce qu’elle signifie,
en ajoute aux acquis de Vatican II, conduit l’imaginaire chrétien à regarder la
mission dans toute sa positivité.
Or, cela, est à voir comme un acte courageux de la part de
Jean Paul II. Car, par là, il conduisait l’Eglise, ni plus ni moins, à avoir un
regard positif sur la mission, alors qu’encore pesaient lourdement sur elle
l’héritage de son passé. Un passé de la mission, en général admirable, fait d’exploits
miraculeux, mais aussi d’équivoques et des bavures. Surtout, au moment où la
mission avait péché de connivence, explicite ou non, avec le colonialisme et,
plus loin encore, avec l’esclavagisme et le système de taboula rasa, produit absurde de la stratégie de conquête des puissances
du patronat. Si bien que le texte en question est censé disposer les esprits à
se réconcilier avec la mission, tout en reconnaissant avec contrition et en intégrant
dans la foi (comme lui-même l’avait fait en l’île de Gorée), le
« péché » ; la honte ecclésiale de tels phénomènes de l’histoire
qui ont troublé l’adhésion des peuples au christianisme et pire encore piétiné ici
et là la dignité de nos frères et sœurs en humanité et leur droit à la liberté
religieuse[17].
En plus, la méditation sur ce passage peut nous faire poser
une question : « Qu’est-ce qu’a
rendu si audacieux Jean-Paul II à l’égard de la mission ? ». Les
réponses à ce questionnement évidemment peuvent être multiples. Cependant une
réponse pourrait venir de sa connaissance-assimilation de la théologie
missionnaire de Vatican II. En y ayant participé, il savait bien que ce Concile
(qui « découvre » l’Eglise comme communion), avait rattaché la mission
à sa source primordiale, à savoir la
communion trinitaire[18]. Et cela, par ce beau texte, dont la
portée sémantique est digne d’être approfondit encore aujourd’hui: «Dans son
pèlerinage l’Eglise est, par sa nature, missionnaire, puisqu’elle-même tire son
origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le
dessein de Dieu le Père…de « l’amour fontal »… de la charité de Dieu… »
(Ad gentes 2). Il savait donc de source conciliaire que la mission était
une valeur absolue, venant de la communion de Dieu, et comme telle il devait la
promouvoir au-delà de tout. Même au-delà des contradictions liées au volet de
la mission comme activité humaine qui, par la force des choses, se déploie au
milieu des limites et des contraintes de l’histoire. Il pouvait se dire alors que : « Puisque la mission est, avant tout, l’œuvre
de Dieu (Missio Dei), rien ne peut l’arrêter ». Surtout, parce que la
mission à cause de son rattachement à la communion trinitaire, possédait justement
la grâce de véhiculer auprès des personnes humaines une telle communion divine.
Ce qui peut expliquer aussi le repêchage par Redemptoris missio d’une définition de
la mission parmi les plus ardues contenue dans le décret Ad gentes au numéro 9 : « L’activité missionnaire n’est rien d’autre, elle n’est rien de moins
que la manifestation du dessein de Dieu,
son épiphanie et sa réalisation dans le monde et son histoire, dans laquelle
Dieu conduit clairement à son terme, au moyen de la mission, l’histoire du
salut » (41).
D’ailleurs nous savons du grand développement qu’il a donné
à cette approche trinitaire et, ensemble, communnionnel de la mission. C’est
lui, en effet, qui lui donnera continuité tout au long de sa production
magistérielle. Il nous parlera alors de communion missionnaire à l’image de la
Trinité, de spiritualité de communion, de l’Eglise et de chaque communauté
chrétienne appelées à devenir maisons et écoles de communion…[19]. Et ce faisant il mettait en relief et à sa
juste place la dimension communautaire de la vie chrétienne et ecclésiale.
Mais ce n’est pas tout, car la lecture attentive de Redemptoris missio nous réserve une
caractérisation bien vigoureuse de la mission.
En effet, ce même numéro 2
dira que la mission est « le premier service que l’Eglise peut rendre à tout homme et à
l’humanité entière dans le monde actuel… ». Le numéro 3 parle de la mission comme « un
devoir suprême ». Le n.
32 dit que la mission « n’est plus
conçue comme une tâche marginale de l’Eglise mais elle est intégrée dans le
cœur de sa vie comme un engagement
fondamental de tout le peuple de Dieu ». Le n. 40 perçoit dans la
mission « le plus grand des défis pour
l’Eglise ».
Or, ce langage qui caractérise la mission en des termes si absolus,
comme s’il s’agissait justement de définir quelque chose de valeur unique,
apparaît, à raison, comme la manière de Jean-Paul II de transmettre aux fidèles
une conviction datée de Vatican II. Celle selon laquelle, la mission est
indissociable et propre à la nature de l’Eglise. Par là, il est aisé de
comprendre que l’Eglise est telle si elle est missionnaire. Si bien que la
bonne conclusion à tout cela est de retenir qu’il n’y a pas de mission sans
l’Eglise, mais aussi qu’il n’y a pas d’Eglise sans la mission. Ce qui augmente
de manière exponentielle la valeur et l’importance de la mission: « Pour le chrétien individuel comme pour
l’Église entière, la cause missionnaire doit avoir la première place, car elle concerne le destin éternel des hommes
et répond au dessein mystérieux et miséricordieux de Dieu » (86).
Pour finir, remarquons que ces derniers passages font
comprendre l’importance de la mission par des raisons foncièrement
théologiques. De sorte que ces mêmes raisons permettent à Jean-Paul II de
souligner l’importance de la formation missionnaire et donc de la valorisation
de la missiologie qui n’est que le discours, la science de la mission. Ainsi au
n. 83 il est dit que la tâche de formation à la mission est ‘centrale dans la vie chrétienne’. C’est
pourquoi: « L’enseignement
théologique ne peut ni ne doit ignorer la mission universelle de l’Eglise,
l’œcuménisme, l’étude des grandes religions et de la missiologie » [20]. Par
ailleurs, dans ce même numéro on recommande que certains puissent se
spécialiser en missiologie. Et cela, dans le but, comme dans le cas des Œuvres
Pontificales Missionnaires, de « promouvoir
l’esprit missionnaire universel au sein du peuple de Dieu » (84).
CONCLUSION
On le voit, pour tout ce qu’on vient de dire et pour ce
qu’on pourrait ajouter, Jean-Paul II se manifeste tel qu’un authentique disciple
du Christ et un pape admirable, d’une extraordinaire efficacité, profondément compénétré de la cause
missionnaire dans tout ce qu’il a entrepris. L’accent prophétique des ses innombrables
interventions orales et écrites ; sa proximité compatissante avec
l’humanité de notre temps ; ses bains de foules à toute occasion pour
rencontrer l’homme, afin qu’il puisse participer au salut apporté par le Redemptoris homini, font de lui un des
plus grands missionnaire de l’histoire.
Cependant, il est possible que ce point de vue sur la grandeur
missionnaire de Jean-Paul II, confié au présent hommage, soit encore plus
unanimement partagé lorsqu’on découvrira mieux celles qui figurent comme les deux
lignes dynamiques de sa missiologie, évoquées plus haut, la « Nouvelle
Evangélisation » et la « Communion Missionnaire ». Et surtout,
lorsqu’on réalisera que ces deux concepts peuvent se combiner, dans leur
dynamisme. Et que cela mettra l’Eglise en condition de devenir en plénitude le
sacrement de la présence du Christ ressuscité, lui donnant ainsi chaque jour de
parfaire la nouvelle évangélisation du monde dans la force de son Esprit.
Merci Saint Jean-Paul II ! La passion pour la mission
t’a sanctifié et, par toi, la mission est devenue pour nous tous un chemin
d’avenir ; un chemin de joie : Evangelii
gaudium !
P.
Domenico Arena, omi
Professeur
de missiologie
Institut Africain des
Sciences de la Mission (Kinshasa)
arenomi52@gmail.com
[1] Cf. COLZANI, G., “L’antropologia
della missione in Giovanni Paolo II”, in CAVALLOTTO, G., (a cura di), Missione e missionarietà in Giovanni Paolo
II, Roma, 2004, p. 77-83; GAGLIANONE, R., “La “missione” al servizio della
pace, della giustizia e della promozione umana”, in Ibid., p. 135-145; GRONCHI, M., « Cristologia e missione nel
magistero di Giovanni Paolo II », in Ibid.,
p. 69-76; MUYA, J. I., “ Inculturazione come correlazione tra Vangelo e culture
in Giovanni Paolo II”, in Ibid., p.
125-134; ONAH, G. I., “”Fides et ratio” in prospettiva missionaria”, in Ibid., p. 147-152; SABBARESE, L.,
“Diritto e missione”, in Ibid., p.
153-179.
[2] Cf. ARENA, D., Le
Christ parmi nous (Mt 18, 20). La communion missionnaire, perspective de
nouvelle évangélisation, Kinshasa, 2013.
[3] Cf. DIAS, I. ,
« The missions in the pontificate of pope John Paul II », in
CAVALLOTTO, Missione…, p. 55.
[4]Cf. CAVALLOTTO, G., « Duc in altum »,
in Ibid., p. 7.
[5] Cf. TREVISIOL, A., “”Ecclesia in
Africa”:elementi di un nuovo progetto missionario”, in Ibid., p. 227-241.
[6] Cf. STELLIN, V. G., “La Iglesia
en América: nueva evangelización y en camino hacia la misión “Ad Gentes”, in Ibid.,
[7] Cf. MACHADO, F. A., “The
Church in Asia : the announcement of Christ and
enconter (sic!) with religions”, in Ibid., p.243-264.
[8] Cf. DOTOLO, C., « « La
Chiesa in Europa » : terra di missione ? », in Ibid., p. 183-199.
[9] Cf. TEBAY, N., «Presenting
Jesus Christ in ways appropriate for the peoples of Oceania »,
in Ibid., p. 265-271.
[10] Cf. CAVALLOTTO, “Duc…”, p.
23-26.
[11] Cf. FORTINO, E. F., « Il
movimento ecumenico verso l’unità con Cristo”, in Ibid., p. 85-108; MACHADO, F. A., “Interreligious dialogue: an
essential part of the evangelizing mission of the Church”, in Ibid., p. 109-123.
[12] CAVALLOTTO, « Duc… », p. 32.
[13]« Chrétiens et Musulmans doivent être
des personnes de dialogue », in La
Documentation
Catholique , n° 7, 1992, p. 326-327.
[14] Cf. CAVALLOTTO, “Duc…”, p. 29.
[15] Cf. COLZANI, G., “”Redemptoris
Missio”. Un decennio di bibliografia. 1990-2002”, in CAVALLOTTO, Mission …, p. 275-287.
[16] Cf. RATZINGER,
J., La comunione nella Chiesa,
Cinisello Balsamo (MI), 2004, p. 73.
[17] Cf. ARENA, Le Christ…, p. 238-252.
[18] « Depuis
les premières années de mon service épiscopal, et justement grâce au Concile,
il m’a été donné de vivre la communion fraternelle de l’Episcopat. Comme
prêtre de l’archidiocèse de Cracovie, j’avais expérimenté ce qu’était la
communion fraternelle du presbyterium, et le Concile a ouvert une dimension
nouvelle à cette expérience » :
« Testament de Jean-Paul II », in La
Documentation Catholique, n° 2336, 2005, p. 487.
[19]Cf. CAVALLOTTO, « Duc… », p. 26-28.
[20] Ce qui avait été préconisé déjà en 1940 : cf. SEUMOIS,
A., Introduction
à la Missiologie ,
Schöneck, 1952, p. 388.
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